1777, n°201, 20 juillet, Aux Auteurs du Journal

J’ai déclaré que je n’étais point Artiste. J’aurais bien, comme d’autres, des idées à proposer sur chaque partie du plan général de l’embellissement et de réformation de la Ville de Paris ; mais il y a tant d’Architectes habiles et ingénieux, qu’il y aurait de la témérité à croire que l’on puisse avoir quelques vues supérieures à celles qu’ils proposeront. Les principes généraux, relativement à l’administration, sont l’objet de mes réflexions et il m’appartient, tout comme aux Architectes même, de m’en occuper pour le bien public. En général l’objet des places publiques et des carrefours, doit être de procurer aux habitants d’une grande Ville des lieux spatieux, où l’on aborde de plusieurs côtés, sans éprouver aucun embarras ; ainsi les places doivent être situés dans les lieux des Villes les plus fréquentés et le plus au centre qu’il est possible. Il faut tâcher qu’elles soient au devant des Palais des Princes, des Palais de Justice, de l’hôtel de Ville, de la Bourse, des Marchés publics, des Salles de spectacles, des grandes Eglises, etc. Ces édifices demandent à être construits sur des places, ou fort à portée, non seulement parce qu’ils sont ordinairement ornés par l’architecture extérieure, et frappent davantage la vue dans un lieu vaste ; mais encore parce que le concours du peuple s’y forme et s’y divise plus facilement ; cela est surtout essentiel dans cette Capitale où le nombre des carrosses est prodigieux. La forme à donner aux places publiques, doit être déterminée par toutes les circonstances locales, et ce serait une beauté de plus qu’elle fussent variées autant par la forme que par la décoration. Ce que je viens de dire pour les places publiques, est commun aux carrefours. On sent que c’est au contours des rues fort passantes qu’il faut que les carrefours soient disposés de manière que dans quelque nombre que les voitures y arrivent de différents côtés, il ne s’y fasse aucun engorgement. Il faut surtout que les gens à pied puissent éviter facilement les voitures. Je pense qu’il convient que les angles des rues, qui forment les carrefours fort fréquentés, soient disposés de façon à élargir le carrefour, et à éviter, pour les passants, l’inconvénient souvent dangereux d’être surpris à un tournant de rue. Il est certain qu’on peut varier à l’infini la forme des carrefours dans une aussi grande ville, et en rendre le coup d’œil fort intéressant, sans compter les avantages qui en résulteraient pour la commodité et la sûreté des Citoyens. Quant aux quais et aux ponts, les premiers sont déterminés par le cours de la rivière. Il faut seulement qu’ils soient d’une largeur convenable à leur fréquentation et à leur destination, et que toutes les rues qui y abordent soient larges. On ne saurait trop en multiplier et en faciliter les issues. Certains édifices publics peuvent y être avantageusement placés, pourvu qu’il n’y ait aucun bâtiment du côté de la rivière. Les ponts doivent être également dégagés de tout bâtiment. Les issues en doivent être spatieuses, faciles et fort adoucies. J’indique seulement ici les principes généraux. On ne doit s’occuper d’abord qu’à procurer la commodité de l’espace ; la partie de la décoration s’exécutera peu à peu. Je me déclare ennemi de la froide et insipide symétrie des rues. On verra quelques jours mes idées là dessus, qui me justifieront du reproche que votre Correspondant d’Amsterdam a semblé vouloir me faire à cet égard, dans sa lettre insérée dans votre Journal, n°177. Je suis, Messieurs, etc.

Pro Patria