1777, n°361, 27 décembre, Lettre aux Auteurs du Journal,

Je suis trop content, Messieurs, de la mention que votre fidèle Marin a bien voulu faire de moi, dans sa dernière lettre insérée dans le Numéro 346 de votre Journal, pour ne pas vous féliciter, ainsi que le public, de son retour. Chacun pense à sa guise et écrit comme il peut. Je conviens que pour être témoin de l’exécution de vastes projets, il faut vivre longtemps ; je conviens aussi que c’est un métier bien ingrat que celui de proposer des choses utiles dans l’empire de la frivolité. Le Marin a apparemment raison, quand il dit que le “Plan d’embellissement pour Paris a été conçu avant moi, et qu’il doit même être exécuté, etc”, mais je lui observe avec ma modestie ordinaire, que puisque ce Plan d’embellissement existe et doit être exécuté, il est étonnant que l’on fasse ou laisse faire des constructions opposées et contrariantes. D’ailleurs ce Plan général, est-il réellement bien arrêté et pourquoi n’est-il pas public ? Le Marin est plein d’esprit ; sa plaisanterie est fine et agréable ; son avis est toujours lumineux ; il est heureux qu’il soit revenu de ses grands voyages pour faire cesser la diversité des opinions sur les productions des Arts et pour régler le ton des Ecrivains Polémiques. Je ne suis point piqué certainement du ridicule, qu’il prend la peine de souffler sur celles de mes lettres, que vous avez eu la complaisance de faire paraître dans votre Journal, il y a plusieurs mois. Je suis un bon-homme doué d’un sang froid que rien n’altère. Je ne connais point le sens énergique des Ventrebleu et des Morbleu. Le Marin en pourra dire tant qu’il voudra, je n’en irai pas moins à ma manière vers mon but. Qu’il conduise sa Barque à la sienne. Je vous prie, Messieurs, que sa lettre est aussi longue au moins qu’aucune des miennes, et que dans le fait il parle de tout, sans nous avoir appris autre chose, si ce n’est que M Natoire a fait un tableau représentant un St Sébastien, digne du Guide. Ce Marin, habitant à Paris, a l’imagination bien rapide ; la mienne au contraire est toujours lente et toujours fixée sur des objets d’utilité. La matière que j’avais entrepris de traiter, est assurément de cette espèce. Je n’ai point prétendu publier des idées absolument nouvelles ; mais peut-être aurais-je pu proposer des moyens d’exécution, qui n’ont point encore été aperçus. Je ne sais si mes occupations me permettront de suivre cette carrière, peut-être même ne vous prêteriez-vous à publier mes lettres dans votre Journal. Mon intention est seulement de porter dans celle-ci, que je vous prie d’y insérer, mon hommage à votre Marin, mon estimable censeur. Au reste, fidèle à l’idée du nom que j’ai pris, je n’ai jusqu’à présent traité que des objets d’utilité publique, et cela vaut bien, je crois, tout ce que l’on peut dire d’une Estampe nouvelle ou de quelques autres productions des Arts de petite importance. On verrait avec satisfaction le Marin clairvoyant porter le flambeau de son génie sur les mêmes objets. On regrette de le voir papilloter sans cesse, sans se fixer jamais. L’aménité de son style ne pourrait que produire un excellent effet. Je me sens disposé à être le gobe mouche de ses écrits, comme il prétend que je le suis de votre Journal.

Je suis, Messieurs, etc Pro Patriâ.