Salles de spectacles

1777, n°55, lundi 24 février, Architecture.

C’est dans le moment où le Public, entraîné par un goût général, se porte journellement en foule à tous les Spectacles, que les Comédies Françaises et Italienne manquent à la fois de salles convenables et commodes pour le recevoir.

Ce besoin réel a fait éclore nombre de Projets où le génie de différents architectes s’est exercé avec succès ; celui de MM Père et de Wailly jouit de l’estime des connaisseurs, qui donnent aussi de justes éloges au projet de M Moreau, Artiste connu par les talents les plus distingués. Il vient de nous tomber sous les yeux le projet d’une Salle de spectacle, pour la Comédie italienne, que l’on propose de construire, “sans qu’il en coûte rien au gouvernement” dans le jardin des RR PP. Capucins de la Rue Saint-Honoré ; en transportant ces Religieux à la Chaussée d’Antin, où ils deviendraient de la plus grande utilité, les Habitants de ce quartier étant trop éloignés des secours ecclésiastiques. MM Cellerier et Poyet, Auteurs de ce Projet, ont eu l’attention d’éloigner la salle de l’Eglise de ces Pères.

La masse de l’édifice est de vingt-quatre toises de face sur la rue St Honoré et de 36 de profondeur sur les rues latérales. Ce monument serait décoré extérieurement d’une colonnade dorique, portée par un soubassement ouvert, formant une galerie au pour tour.

Dans les terrains à vendre, dont le produit suffirait pour la construction de la salle, on ménage deux rues latérales de cinquante pieds de largueur, qui conduiraient aux Thuilleries, bordées de bornes, formant trottoirs pour les gens de pied et une autre de même largeur derrière la salle, ce qui l’isolerait de toutes parts. Les deux rues latérales du côté de celle de St Honoré seraient terminées par deux grandes arcades, sous lesquelles on descendrait à couvert. La forme de la salle intérieure est ovale, on y a pratiqué quatre rangs de loges, le tout est couronné d’une voûte ornée de caissons : les Spectateurs y seront tous assis.

On voit par la disposition du plan tous les avantages de ce projet : l’emplacement est le plus beau que l’on puisse choisir pour un théâtre et peut être il réunit à la fois une très grande place (celle de Vendôme) pour ranger toutes les voitures, des rues vastes pour aborder de tous les côtés, le jardin des Thuilleries pour la promenade ; à l’égard de l’éloignement, il est justifié par la situation actuelle de la Comédie française, que l’on ne verra pas sans regret repasser dans son ancien Quartier.

Les Gens de l’Art paraissent tous convenir que la masse extérieure de cette salle, rappelant l’idée des anciennes Basiliques, est imposante et aurait un air de nouveauté dans Paris. Ils souhaitent que la dépense n’empêche pas, si ce Projet a lieu, l’exécution de la galerie au pour tour. Dans beaucoup d’édifices, pareille galerie ne sert le plus souvent qu’à la magnificence ; dans celui-ci à la magnificence se joint l’utilité. Combien de fois les Spectateurs, dans des jours de grande affluence désireraient-ils avoir un endroit, où ils pussent aux entr’actes ou dans l’intervalle des Pièces, changer d’air et respirer à leur aise ? Quant à la distribution de foyer et des escaliers, on paraît donner au second Plan dessiné par les mêmes Auteurs, la préférence sur celui exécuté dans le modèle détaillé. En général ce morceau fait beaucoup d’honneur à MM Cellerier et Poyet : il annonce et prouve des talents qui méritent d’être encouragés.