1777, n°86, jeudi 27 mars, Lettre aux Auteurs de ce Journal

Messieurs, personne ne prend un intérêt plus grand, que moi, à l’embellissement et aux agréments de cette capitale. Les édifices publics que l’on y construit, les rues que l’on élargit, les établissements utiles que l’on y forme, m’affectent presque autant qu’un Propriétaire l’est pas les décorations de sa maison ou les plantations qu’il fait dans ses terres. Je forme des vœux pour qu’on multiplie ces ornements, et que l’on exécute les plans avec une économie honorable. Je veux parler de différents projets de Salles de Spectacle et entre autres de celle des Comédiens Italiens.

Je n’ai jamais été fort disposé à donner des avis, cependant, j’ose hasarder quelques idées à ce sujet ; si vous ne les croyez pas déplacées vous y donnerez de la publicité par votre Journal.

J’observe premièrement que pour la facilité du Public et le grand avantage des Comédiens, il est intéressant que le Spectacle ne soit pas trop éloigné du centre de la ville. Toutes les distances sont relatives. Mais le point du centre conduit à tout. Ainsi sous ce point de vue, la Comédie Italienne est placée avantageusement.

Secondement, la Salle une fois bâtie, il y a beaucoup d’économie à ne la point transplanter ; quoique ce changement de local dût entraîner des décorations pour la Ville. La dépense excessive que cela occasionnerait m’effraie. Il y a quelques inconvénients, j’en conviens, à perpétuer ce Spectacle, dans un quartier trop habité, trop serré pour les défilés et sortie.

Mais s’il était possible de procurer des facilités sans dépense ; s’il était possible de remédier aux inconvénients sans détruire, je croirais que ce dernier parti serait préférable.

Les carrosses des particuliers qui se rendent à ce Spectacle, occupent au loin toutes les rues adjacentes;  ces rues sont étroites, les piétons et ceux même que l’impatience engagerait à joindre leur voiture, courent des dangers. Voici les moyens que je proposerais pour parer à ces inconvénients.

La cour du Grand Cerf, qui donne en face de la rue Tireboudin et qui aboutit à celle de Saint Denis, peut être convertie en rue avec bénéfice ; les lisières des maisons de cette cour, peuvent augmenter de valeur suffisante pour payer les deux seules maisons qu’il serait nécessaire d’abattre pour cet effet. Ce débouché deviendrait d’autant plus intéressant que sans plus de dépense, il serait facile de percer une rue en face de la rue Françoise qui tomberait sur un terrain en chantier, étant ci-devant un jeu de paume, qui sert de magasin à un Sellier, et qui est sans bâtiment. Les nouvelles lisières payeraient encore les dépenses que cela occasionnerait. Ainsi tandis que des voitures défileraient par les rues Mauconseil et du Petit Lion, d’autres parcourraient les nouvelles rues de ce côté. En outre, dans la rue de Mauconseil se trouve le Cloître de Saint Jacques de l’Hôpital, qui a une certaine étendue, et qui peut donner retraite à un grand nombre de carrosses ; et il est possible en prenant un terrain dans la partie de la rue Mauconseil, la plus prochaine du Spectacle et sur laquelle les bâtiments ne sont pas précieux, de faire une entrée facile dans ce Cloître ; il ne serait pas dispendieux de lui donner deux issues convenables, l’une à l’endroit de la porte du côté de la rue Mauconseil, et l’autre du côté de celle de Mondetour, par où les voitures s’échapperaient par la rue de la Grande Truanderie. Les maisons du Cloître, par ces communications, augmenteraient de valeur.

Ces moyens peuvent d’autant mieux procurer de la facilité pour la sortie, que l’on doit, dit-on, abattre, trois maisons de la pointe des rues Comtesse et d’Artois et Montmartre, à la pointe Saint-Eustache, si l’on voulait augmenter l’aisance du défilé dans ce quartier ; ce qui ne serait pas encore bien coûteux, serait ou d’ouvrir une rue en face de la rue Mauconseil, dans l’épaisseur des maisons, pour rendre rue Montmartre, ou d’ouvrir et d’élargir le cul-de-sac de la Bouteille en face de la rue du Jour. En employant tous ces moyens et rendant de plus la sortie par la rue Françoise très-facile, il est constant qu’il n’y aurait pas la moindre incommodité à laisser le spectacle où il est, plutôt que de changer, bouleverser et dépenser considérablement en le déplaçant. Si mon projet est agréé, je serai assez satisfait intérieurement sans être connu ; si mon plan est sans fondement, je fais très prudemment de garder l’incognito.

L’Auteur de ce projet nous paraît avoir des vues d’économie, il semble craindre le déplacement de la Comédie Italienne : il la croit bien située où elle est actuellement, parce qu’elle se rapproche du centre. Cet Avis n’est point déraisonnable. Nous laissons à juger aux gens de l’art de la bonté de ce projet : ce qui ne peut se faire qu’après un mûr examen des avantages et des inconvénients. Mais l’Auteur ne désire point une reconstruction de la Salle de ce Spectacle, et nous avons de la peine à être de son avis. Quoi qu’il en soit, on doit lui tenir compte de son zèle et de ses idées, qui peuvent échauffer le génie des Artistes.

Il nous est tombé dans les mains un plan de Comédie Française, qui n’est point connu et dont nous nous donnerons incessamment le détail.