1780, n°274, 30 sept, Architecture, Lettre de M Dufourny de Villiers, Architecte, en Réponse à celle de M la Cour sur les Salles de Spectacles (voyez la feuille n°193).

Monsieur, les questions que vous avez proposé sur les propriétés sonores et sur le caractère de l’Architecture des Salles de Spectacles, auraient sans doute été discutées plus tôt, si, en vous adressant aux Architectes distingués de la Capitale, vous n’aviez intéressé au silence la modestie de chacun d’eux, et paru prononcer ainsi l’exclusion indirecte contre les autres :c’est cette dernière considération qui m’a fait suspendre la publicité de mes observations ; mais puisque personne ne se présente après un long délai, je vous le fais parvenir par cette voie, afin qu’elles servent au moins à réveiller l’attention sur des questions très intéressantes en tous temps, et surtout à l’époque où, construisant un Théâtre pour les Comédiens Français, on va prononcer entre les divers projets présentés pour le Théâtre des Comédiens Italiens.

La première de vos demandes, relative aux propriétés sonores des Salles de Spectacles, sera l’objet d’une seconde lettre, dans laquelle vous trouverez des expériences très intéressantes et leur application. Je commence par exposer dans celle-ci mon opinion sur votre seconde demande, et je désire que ceux qui auraient un système différent, donnent des motifs suffisants de leur préférence.

Vous demandez, Monsieur, quel est le moyen d’imprimer aux édifices publics, et particulièrement aux Salles de Spectacles, le caractère qui leur est propre : je suis très étonné, que d’aussi importantes recherches aient été traitées de puériles, et je pense, au contraire, qu’on ne peut mériter le titre d’Architecte qu’autant que l’on parvient à revêtir les édifices de leur caractère propre, c’est-à-dire, à donner à leurs masses les dispositions générales qui annoncent d’une manière absolue et imposante leur destination, et à leurs détails les proportions et les ornements qui peuvent préparer l’âme du Spectateur aux impressions qu’elle doit éprouver à leur intérieur et qui sont le but principal de leur construction.

Il ne suffit pas qu’un édifice soit à la Nation ou au Prince, pour introduire dans son ordonnance des colonnes. La munificence publique ou royale ne peut les faire admettre où le caractère propre de l’édifice ne les indique pas, et elle ne doit ajouter au monument (bien caractérisé d’ailleurs) qu’une plus grande étendue, des dimensions supérieures, la richesse des détails, le choix d’une précision rigoureuse dans l’exécution. Les colonnes destinées particulièrement aux Temples, aux Palais et aux Fêtes, ne doivent jamais être employées que pour porter l’édifice, et non pour le décorer en formant de ces avant corps, souvent inutiles ; et s’il est permis de les employer ailleurs, ce ne peut qu’être qu’en évitant les frontons et autres ornements propres aux Basiliques : si on tolère enfin les colonnes pour orner extérieurement les Théâtres, ce ne peut être que pour ceux destinés à la représentation des scènes tragiques, qui sont supposées le plus souvent au milieu des Temples et des Palais ; elles seraient absolument ridicules au Théâtre italien, si ce n’est que comme Parodies.

L’expression du but de l’édifice dépend moins de ses détails que de la forme générale de son plan et de la distribution de ses masses. La décoration partielle, les ornements, ne constituent pas plus son caractère, que ne le font les habits d’un personnage ; mais ils doivent être analogues au part et d’autre. Tout édifice dans lequel le Public se rassemble, doit avoir des portiques spacieux, et doit annoncer tout au plus deux étages ; un au rez-de-chaussée, qui peut être réputé accessoire et forme un soubassement, un autre supérieur et principal, dans l’ordonnance duquel l’unité exige que les diverses divisions des planchers, qui pourraient être à l’intérieur, ne soient point indiquées au dehors. Les portes et les croisées doivent être colossales, car cet ordonnance gigantesque suffit, sans le concours d’aucuns ornements, pour donner aux édifices publics le caractère général qui les distingue des habitations particulières.

Tous les édifices publics et surtout les Théâtres, doivent être isolés de toutes habitations particuliers, afin de faciliter et de multiplier les abords et les aspects ; afin de ne point tomber dans une décoration mixte, nécessaire pour raccorder les deux emplois ; afin d’éviter les causes étrangères de feu. Mais il est inutile de rappeler ces principes, le Ministère instruit par les incendies de l’Opéra et de plusieurs autres Salles en Europe, ne tolérera jamais ce mélange monstrueux, qui exposerait les habitants à partager avec les Comédiens les effets du feu, et les Spectateurs rassemblés à être engloutis : jamais sans doute l’intérêt particulier n’osera faire une proposition aussi attentatoire au bon goût et à la sûreté publique ; elle serait certainement rejetée ; la disposition de la nouvelle Salle des Comédiens Français prouve assez que le Gouvernement, qui ne désire que l’intérêt public, est convaincu de la nécessité d’isoler les Théâtres.

La suite demain.