1781, n°89, 30 mars 1781, Architecture, Aux Auteurs du Journal, sur la nouvelle Salle de la Comédie Italienne.

Messieurs,

L’on vous voit sans cesse, pour ainsi dire, à l’affût de toutes les productions relatives aux Arts, ce n’est donc pas sans surprise, que l’on a remarqué votre profond silence sur le projet arrêté et déjà commencé d’une nouvelle Salle pour la Comédie Italienne, dans l’emplacement de l’Hôtel de Choiseul. Puisque vous vous taisez, je vais vous faire part de ce que j’ai découvert à ce sujet.

Comme je ne crois, en aucune sorte, offenser les personnes intéressées à cette entreprise, je me détermine quoiqu’à leur insu, par la voie de votre Journal, d’en instruire le Public toujours avide de connaître d’avance les dimensions des Edifices où il doit se rassembler. Je m’occupe plus que personne au monde à suivre les progrès de ces sortes de monuments. Je fais tant, qu’enfin je parviens à en obtenir des notions justes, non dans la coupable intention de les critiquer, mais pour le plaisir de m’en instruire d’abord, et de les publier ensuite. Vous n’êtes pas fâchés, je crois, de rencontrer de temps en temps des fureteurs et des bavards de mon espèce, ainsi j’espère que vous ferez volontiers connaissance avec moi.

On travaille à ce monument en vertu de Lettre patentes enregistrées en Parlement le 14 Octobre 1780, qui ordonnent la translation de la Comédie dite Italienne, dans le jardin de l’Hôtel de Choiseul, sur l’offre faite par M le Duc et Mme la Duchesse de consentir l’abandon gratuit d’environ 1800 toises de superficie de leur terrain, pour y construire ladite Salle, et y former une place au devant, et les rues nécessaires à son débouché. Ces Lettres patentes ont été également enregistrées à la Ville et au Bureau des Finances.

La Salle de Spectacle sera isolée : elle aura une place au-devant, et la Ville consent que la partie de derrière sur le Boulevard, soit élaguée, nettoyée, et pavée pour en faciliter les abords ; en sorte que la Salle sera entre deux places et deux rues.

Dans les deux rues latérales, à qui on donne les noms de Favart et de Marivaux, on pratiquera, pour les gens de pied, un trottoir formé par des bornes placées à cinq à six pieds de distance des murs. En tout cinq rues y aboutiront, sans compter un passage, qui sera ménagé pour les gens pied, en face même de la Comédie.

La face de ce Monument aura quinze toises deux pieds ; elle sera ornée de six colonnes ioniques antiques, du diamètre de quatre pieds sept pouces, qui formeront un corps avancé sous lequel on prendra à couvert des billets à quatre Bureaux de distribution.

Le Vestibule de quarante pieds quarrés sera décoré de douze colonnes doriques : on y communiquera de droite et de gauche à deux escaliers de sept pieds de large chacun, lesquels conduiront au Foyer public, aux 1res, 2mes et 3mes Loges, à deux Cafés, et à deux passages pour les personnes à équipage.

Le Foyer public, placé au-dessus du vestibule, formant galerie, aura 24 pieds de large sur 41 de long, et comprendra trois croisées ayant vues sur la place, avec un grand balcon de toute la longueur.

Le Cirque, pour les Spectateurs, a la forme d’un ovale tronqué de 30 pieds de large sur 50 de long, et est décoré de trois rangs de loges, d’amphithéâtre, balcons et loges exigées.

L’emplacement du Théâtre aura 55 pieds quarrés. Les côtés latéraux, quant à la décoration extérieure, seront formés de deux avant-corps ornés de trois croisés chacun, et dans l’arrière-corps toutes les croisées seront embrassées par un grand balcon. La corniche ionique règnera dans le pourtour.

La face sur la rue Favart aura 36 toises et celle de Marivaux 28.

M Heurtier, Architecte du Roi et Inspecteur général des bâtiments, n’est chargé que de la partie de la Salle de Comédie.

Voilà, Messieurs, tous les renseignements que je puis vous donner sur cet Edifice. Ce serait peut-être ici le lieu d’observer, qu’en comparant la grandeur de nos Théâtres, avec ceux des anciens, il faut aussi comparer nos usages et les leurs. Les Spectacles étaient pour eux, ce que sont pour nous les fêtes publiques données à l’occasion de quelques événements intéressants, ou bien par ceux qui avaient intérêt de capter la bienveillance du Peuple par leur magnificence ; alors il fallait construire des salles immenses pour contenir une grande multitude. De là l’invention de ces masques exagérés, dont les Anciens couvraient le visage de leurs Acteurs, pour que l’expression fût aperçue de plus loin ; de là ces porte-voix imaginés pour faire parvenir les paroles, jusqu’au derniers rangs des Spectateurs, en sorte que les Comédiens affublés d’un masque en caricature, ayant des gens qui parlaient pour eux dans des entonnoirs, n’avaient la plupart du temps, d’autre emploi que de gesticuler. Je doute qu’une pièce de notre Théâtre ainsi représentée fût de notre goût. Nos Architectes, sont donc obligés de renoncer à donner une aussi grande étendue à leurs salles de Spectacles. Les limites leur sont nécessairement prescrites par la distance, où l’homme cesse d’être bien vu et bien entendu par un autre.

Pardon de mes réflexions, je les termine là, pour ne pas occuper trop de place dans voter Journal. Je suis parfaitement, etc Théâtromane