1783, n°105, 15 avril, Architecture, dernière réponse de M Poyet à M le Doux, Aux Auteurs du Journal.

Messieurs,

Les querelles littéraires ou musicales peuvent amuser, au moins pendant quelque temps ; mais une querelle d’Architectes n’a pas le même avantage. M le Doux a senti l’ennui que la nôtre pouvait causer, et c’est pour cela sans doute qu’il donne sa première Lettre, signée le titre de dernière réponse à la mienne. J’intitule comme lui, mais c’est tout ce que je puis faire. M le Doux court si peu de risque à crier, même à faux, au voleur, j’en cours un si grand à passer, même à faux, pour plagiaire, que je ne puis me dispenser de répondre.

Ce que je vois de plus remarquable dans la dernière réponse de M le Doux, c’est qu’il n’aurait pas revendiqué la petite gloire d’une idée première, si je n’avais pas fait imprimer publiquement mon Mémoire, c’est-à-dire, si je n’avais pas critiqué indirectement sa Salle par le mot de tentatives malheureuses qu’il affecte de relever. Ce n’est donc plus une dispute de propriété ; c’est une pique d’amour propre ; à la bonne heure ; l’affaire se civilise, et j’en suis bien aise.

Le mot de l’énigme, nous dit, M le Doux ; est qu’il nous faut des loges où les rangs et les fortunes soient divisés. Quand j’en conviendrais, tout le résultat de la question ainsi présentée, serait que M le Doux n’avait pas encore trouvé le secret de distinguer les rangs dans un amphithéâtre, puisqu’il lui est impossible de trouver dans le sien plus de deux rangs de loges, et que deux rangs de loges ne peuvent suffire au besoin supposé de distinguer les rangs et les fortunes.

Ce n’est point à lui que je dois l’idée qui nous est commune, je le répète et je l’atteste et la seule vue de nos deux plans a suffi pour mettre beaucoup de monde à portée de l’attester de même. Il n’a eu cette idée qu’à demi ; je l’ai eue complète, et avec tous ses avantages.

Le véritable mot de l’énigme, puisque M le Doux veut qu’il y en ait une, (quant à moi je n’ai pas le plaisir à me faire deviner, parce que je ne trouvais pas mérite à me nommer après), le véritable mot de l’énigme encore une fois, c’est l’humeur de M le Doux. Il sait le culte que j’ai rendu à ses talents, et l’estime personnelle dont lui ai donné plus d’une fois des preuves ; il peut, d’après cela, apprécier le regret que j’ai d’avoir excité son humeur. Mais comment faire ? il fallait bien dire de mon projet ce qui en était. Je n’ai point dit que j’avais trouvé le seul moyen de parvenir à donner à nos salles la forme des théâtres antiques. J’ai dit que j’avais trouvé le seul moyen de parvenir à vaincre toutes les difficultés que présente le projet d’une Salle d’Opéra pour Paris ; et cela est un peu différent. Que M le Doux essaie d’appliquer à une Salle d’Opéra pour Paris, le parti qu’il a pris pour la salle de Besançon, et si sa tentative est heureuse, je me tais.

Il y aurait sans doute autant d’arrogance que de malhonnêteté à réclamer exclusivement pour ma salle des avantages qu’elle partagerait avec d’autres. D’autres peuvent avoir un ou plusieurs de ces avantages, j’en conviens, mais il faudrait pour j’eusse tort m’en montrer une seule qui les réunît tous ; et je soutiens qu’il ne peuvent géométriquement exister tous que dans la mienne. Cette assertion est un peu forte ; c’est affaire de bonheur, si vous voulez ; je ne prétends pas à plus de mérite que cela, mais le fait est que je les ai. Faire tenir 3000 spectateurs, dont 2000 absolument en face dans une salle qui n’a que 42 pieds d’avant-scène, sur 60 pieds seulement de profondeur réduite, et 58 pieds de hauteur ; disposer cette Salle de 3000 Spectateurs, de manière qu’elle ait l’air d’être pleine avec 1100 ; avoir dans cette Salle six rangs de loges toutes divisées et toutes commodes et même très commodes ; éviter dans le haut de cette Salle tous les arcs doubleaux, lunettes, paradis ou renfoncements, et dans sa décoration tous les ressauts et toutes les inégalités qui pourraient troubler, disperser, ou absorber le son ; lui donner une forme telle que le son s’y répande le plus librement possible, sans être exposé aux réflexions et aux échos qui résultent de toutes les courbes ; avoir le moindre nombre possible, c’est-à-dire presque pas de places masquées par les flancs de l’avant-scène ; isoler la construction des loges de manière qu’elle ne tiendra que par un point au mur de maçonnerie qui doit porter le toit de l’édifice, avantage incroyable pour les sons dans une Salle d’Opéra ; prévenir le danger des incendies au point qu’en cas de malheur, il ne s’étendrait pas au dehors de la cage du théâtre, entièrement séparée du reste de la Salle : donner à chaque rang de loges son corridor, son escalier et toutes ses dépendances ; disposer huit escaliers de manière qu’ils ne tiennent pas plus de places qu’un seul, trouver enfin dans la chose même un moyen de l’exécuter sans qu’il en coûte rien ; voilà Messieurs, les avantages même qu’offre mon projet. C’est à M le Doux lui-même à voir si je l’ai droit d’assurer, d’après cela, que j’ai trouvé le seul moyen de réunir tous les avantages connus, et d’en procurer même de nouveaux auxquels on n’avait pas pensé. Il m’accusait il y a huit jours de plagiat ; il se borne maintenant à m’accuser de gasconnade ; c’est en revenir de lois sans doute ; et s’il veut être juste, je suis persuadé que ce ne sera pas encore là son dernier mot.

J’ai l’honneur d’être, etc, Poyet