1787, n°360, 26 décembre, Arts, Aux Auteurs du Journal.

Permettez-moi, Messieurs, de hasarder quelques réflexions sur les salles de spectacle.

Le plus grand défaut, je crois, ces sortes d’édifices vient de ce que, dans un espace donné, l’Architecte veut entasser beaucoup de monde ; au lieu qu’il faudrait convenir d’abord du nombre de Spectateurs pour cet objet la grandeur et la forme de la Salle.

Moins les Spectateurs seront entassés et pressés, plus la Salle sera sonore ; parce que le son en frappera les parois en plus d’endroits, et que leurs parties solides et élastiques la réfléchiront.

La forme intérieure d’une Salle, la plus avantageuse pour voir, est celle d’un demi-cercle, l’Acteur étant considéré comme au contre du cercle entier.

Mais la plus avantageuse pour entendre est celle d’une ellipse, dont un des foyers est dans le milieu du parterre.

La salle de la Comédie Française est très sonore, parce que les espaces y sont grands et les Spectateurs à leur aise ; mais comme elle a la forme d’un cercle, pour peu que l’Acteur se tourne d’un côté, on ne l’entend pas bien d’un côté opposé.

La concavité élégante de son plafond contribue encore à sa sonorité, et elle en aurait acquis davantage sans ce rang de loges percées en arcades dans sa voûte et qui interrompent l’uniformité de sa courbure.

Plus l’avant de la scène rentrera dans la Salle, mieux on entendra l’Acteur, parce que sa voix frappera mieux contre le plafond et ne perdra point dans les coulisses.

Ce n’est plus une question de savoir si le parterre doit être assis. Comment peut-on souffrir, au milieu des plaisirs délicats de l’esprit et du goût, cette foule de malheureux qui s’étouffent, ces flots orageux qui se pressent, ces cris,ces hurlements qui interrompent et troublent souvent le Spectacle ? on objecte les renchérissements du prix des places ; mais en vérité, une Administration sage et vigilente doit faciliter au peuple la jouissance du nécessaire, doit-elle s’occuper aussi de lui procurer à bon marché les choses d’agrément et de luxe ? C’est un renversement de tout ordre. Les Spectacles ne sont pas faits pour ceux qui n’ont pas le moyen d’y payer leurs places. Il est encore moins juste de réserver à ceux qui payent le moins les places les plus commodes. On peut d’ailleurs modérer les prix et réserver au peuple, vers les parties les plus hautes, et les plus éloignées de la Salle, des places où il verrait le spectacle à peu de frais.

On ne peut trop stimuler les issues pour la sortie des Spectacles, élargir les escaliers, les corridors. Quelle misérable économie qu celle du terrain dans un édifice qui attire tous les jours 3 à 4000 personnes !

Je voudrais que les Amphithéâtres que je substituerais au Parterre fussent assez élevés l’un au-dessus de l’autre pour que chaque Spectateur pût voir, à son aise, par-dessus la tête de celui qui serait devant lui. Je voudrais que les Loges eussent beaucoup de profondeur en face du Théâtre, et très peu dan les parties latérales, et qu’elles fussent d’autant moins profondes qu’elles seraient plus élevées.

On sait combien l’affluence de Spectateurs dans un lieu renfermé fait perdre à l’air sa qualité respirable. Est-ce donc une recherche frivole que celle qui a pour objet la salubrité de tant de citoyens rassemblés ? il me semble qu’il y aurait un moyen assez simple de purifier cet air. Ce serait de faire chauffer dans des poêles placés en dehors de la Salle de l’eau, dont la vapeur y serait conduite par des tuyaux. L’eau a singulièrement la propriété de rendre l’air propre à la respiration. Par l’évaporation perpétuelle qui s’en fait sur la surface du globe, il est évident qu’elle entre pour beaucoup dans la composition e l’air de l’atmosphère ; et peut-être l’air vital des Chimistes n’est-il que la combinaison des vapeurs aqueuses avec l’air inflammable en quelques-unes des autres vapeurs répandues dans l’air atmosphérique.

Des herbes odorantes mises dans l’eau dont la vapeur pénétrerait la Salle y répandrait, à peu de frais, un parfum qui corrigerait l’air fade et corrompu qu’on y respire ; et c’est ainsi qu’une recherche peu dispendieuse donnerait à nos Spectacles une commodité et un agrément dignes d’une Nation délicate et polie.

Quand les Salles de Spectacle sont construites sur des places publiques percées de beaucoup de rues, la confusion des carrosses et des gens à pied peut faire craindre beaucoup d’accidents. J’aimerais mieux que la façade principale, et celle qui lui est opposée, fussent placées sur deux rues parallèles spacieuses et garnies de larges trottoirs ; que deux autres rues perpendiculaires à ces premières isollâsent l’édifice et que sous les deux faces principales il y eût de vastes foyers pour les personnes qui attendraient leurs carrosses, et que ces carrosses ne pussent jamais passer les deux rues latérales.

On regrettera longtemps la situation de l’ancien Opéra, si commode par les issues multipliées que donnaient le Palais Royal et le Jardin de ce Palais.

La forme extérieure qui convient le mieux aux Salles de Spectacle est celle d’un carré long, entouré de portiques soutenus par des colonnes à la manière des Temples antiques. En effet, les Salles de Spectacle sont des temples érigés aux Muses, et comme on l’a remarqué, nous sommes tous encore un peu paysans à l’Opéra. J’ai l’honneur d’être, etc