1787/334, vendredi 30 novembre, Variétés, Lettre sur les Embellissements de Paris aux Auteurs du Journal, ce 18 novembre 1787.

Messieurs,

Grâce au Ministre, ami des Arts, qui a cette Capitale dans son Département, Paris va donc respirer.

Les Ponts et les Quais, déchargés des bâtiments qui les obstruaient, vont permettre à l’air de circuler pour la salubrité de ses innombrables habitants.

Enfin le chef lieu du plus beau Royaume de l’Europe, plus ancien que la Monarchie, deviendra, avec le temps, la plus belle ville de l’Univers.

Il était juste de donner sur tous les quartiers de Paris la préférence à celui de la Cité.

Déjà le Pont St Michel et le Pont au Change vont s’entrevoir, à travers une large rue embellie d’édifices nouveaux et alignés, ayant d’un côté une entrée au Palais de Justice et de l’autre les Portails de St Barthélemy et des PP Barnabites,

Déjà (le plans de Paris sous les yeux) on se plait à jouir d’avance des perspectives que procureront le dégagement des Ponts, et la formation des Quais.

Ainsi, de l’angle de la place des trois Mairies, et du quai de la Mégisserie la vue percera jusqu’à la porte de l’Arsenal. De l’Angle de la rue Dauphine et du quai des Augustins on pourra apercevoir la porte St Bernard.

Voilà donc la Cité bien dégagée par ses côtés extérieurs ; mais cela ne suffit pas. Son intérieur a besoin d’air et d’embellissement.

1° il conviendrait de fixer le point central de cette Ville immense, dont les extrémités s’étendent de jour en jour. On ne peut pas disconvenir que le premier sol de la Cité ne soit celui renfermé entre le Pont-au-change, (jadis le Grand Pont) et le Petit Pont. C’était par ces seuls deux endroits qu’on entrait dans Lutèce. Ces deux Ponts étaient défendus chacun par un fort ; ouvrons donc une vue qui, de la tête du Pont Notre-Dame, gagne celle du Pont St Michel ; le point de réunion de ces deux rues fixera irrévocablement le point central de la Cité, et par conséquent de tout Paris. (il se trouvera à peu près rue St Eloi, entre le chevet de l’église des Barnabites et la rue de la vieille Draperie) A ce point intéressant, élevons une Tour de cent et tant de pieds ; au haut de laquelle on pratiquera une espèce d’observatoire, où sera nuit et jour une Sentinelle chargée de veiller sur les incendies, et d’en avertir, au moyen d’une forte cloche, avec laquelle elle sonnerait le tocsin, et d’un flambeau qu’elle dirigerait vers le côté d’où le feu se manifesterait.

1° Elargissons la rue de la vieille Draperie et prolongeons-là jusqu’à la rivière, au point milieu de la rue St Louis en l’Isle. En descendant l’escalier du Palais, cour du Mai, la vue pourra percer jusqu’au bastion du jardin de l’Arsenal donnant sur la Seine à travers l’isle D Louis et l’Isle Louvier.

3° Continuons la rue Neuve Notre-Dame jusqu’à la tête du quai des Orfèvres ; en sorte que Sa Majesté, se rendant à la Métropole pour les grandes cérémonies, aperçoive la porte principale de cette Basilique en quittant le Pont Neuf.

4° Mettons à découvert les deux portails latéraux de cette même Eglise, en ouvrant en face de chacun d’eux une rue qui gagne la rivière. Avec le temps on pourra obtenir un percé du portail méridional de Notre-Dame au portail septentrional de Sainte Geneviève ; comme le portail septentrional de Notre-Dame pourra avoir pour perspective le point milieu d’un Hôtel de Ville construit rue du Mouton.

Avant que d’en venir à ce point, le Lecteur, a sans doute déjà dit en lui-même comment venir à bout de pareils projets ! que de millions pour acheter et construire ! A ces deux sources de dépenses que je ne puis pas me dissimuler, d’oppose deux moyens aussi simples que possibles.

1° un Plan de Paris, arrêté irrévocablement au Conseil du Roi, qui fixera tous les projets de destructions et de réédifications, de manière que les Propriétaires actuels, les vendeurs et acquéreurs, futurs sachent le terrain dont ils jouissent, qu’ils voudront vendre ou acquérir.

Du temps….Oui, du temps. Par exemple pour opérer ce superbe percé de la cour du Mai à la rue St Louis ; qu’on prenne un espace de soixante années. Les vingt premières seront employées à former cette rue depuis la place du Palais de Justice jusqu’à la rue de la Juiverie. Les vingt suivantes, on la continuera jusqu’au territoire du cloître Notre-Dame, et les vingt dernières années seront consacrées à percer le cloître jusqu’à la rivière.

Si l’on eût proposé deux pareils moyens sous le Règne de François Ier, où les Beaux-Arts firent sentir leur influence, surtout dans cette Capitale, il n’y aurait plus rien à faire dans le plan général de cette Ville Métropole. Mais, faute de ce plan fixe et arrêté par le souverain, cette Ville a de superbes parties et aucun ensemble général.

Débouchés utiles, percés agréables, voilà ce qui constitue le mérite d’une grande Ville ; et avec le temps, on en vient à bout.

J’ai l’honneur d’être, etc Le BON, Parisien