1787, n°151, 31 mai, Variété, Aux Auteurs du Journal.

Messieurs,

Attiré par le récit des changements et des améliorations en tout genre que l’on fait dans Paris, j’ai hasardé de sortir de ma Province pour venir observer à ma manière, c’est-à-dire en Français curieux de s’instruire et de connaître la Capitale de son pays. Un des objets vers lesquels j’ai couru d’abord est la statue équestre d’Henri IV. C’est, me disais-je le monarque que la Nation reconnaît avec plaisir pour le modèle de celui qu’elle chérit, et ne fût-ce qu’à titre de ressemblance, ses premiers soins doivent avoir été employés à l’embellissement de son image. En l’apercevant de loin, j’étais satisfait de voir ce Prince exposé sur le pont même qu’il a bâti et dans un emplacement où rien n’en intercepte la vue ; mais quand je me suis approché pour le contempler, je n’ai pu voir sans quelque étonnement l’état de délabrement de l’enceinte où le monument est renfermé. En se rappelant que dans la première année du règne actuel on a réparé deux arches de ce pont et rétabli les trottoirs en totalité, il est permis d’espérer que cet endroit seul ne restera pas ainsi négligé, dans ce moment surtout une Administration éclairée s’occupe avec zèle de ce qui intéresse le progrès des Arts et de l’embellissement de la Capitale. Un rang d’arbres plantés au pourtour et entretenus à la hauteur nécessaire afin de ne point offusquer la statue, offrirait une promenade agréable et suffisante pour la commodité des personnes que leurs occupations empêchent d’aller plus loin chercher ce délassement. Le point de vue, un des plus attrayants que j’aie remarqué dans cette ville, est embelli vers le déclin du jour par le spectacle du soleil couchant, et je ne doute pas que les vieillards ne s’empressassent à venir là profiter de l’influence de ses derniers rayons. Si de bonnes raisons ne permettent pas d’en accorder l’entrée, et si l’on juge que le piédestal ne soit pas assez élevé pour planter des arbres sous lesquels on puisse se promener, ne pourrait-on pas substituer, aux ronces, des arbustes et des arbrisseaux disposés pour ne point gêner l’effet de la statue ; si l’on veut qu’ils soient analogues aux qualités du Héros, pourquoi n’y pas unir le mythe et le laurier ? ce serait le lucus ou bois sacré des Anciens, dans lequel l’ombre d’Henri IV se plairait quelquefois à venir encore visiter sa bonne ville. Ce serait, si l’on veut, la pépinière où l’on cueillerait les couronnes dont on ornerait le front de nos Généraux après une victoire éclatante. Je ne me flatte pas que des propositions aussi simples soient écoutées volontiers par les habitants de la Capitale, accoutumés à n’estimer dignes de leur attention que les objets frappants par la richesse sensible des matières. Ils préfèreraient sans doute des balustrades ou des obélisques de marbres, surtout chargés d’ornements et de guirlandes en bronze toujours raides, toujours inflexibles, et se ressentant souvent de la sécheresse et de la dureté des métaux dont ils sont formés. Mais quelque parti qu’on prenne, j’applaudirais sans difficulté et je serais bien satisfait si j’emportais dans ma Province la certitude de ne plus trouver à un autre voyage ces décombres et ces ronces qui annoncent une masure abandonnée plutôt qu’un monument révéré d’un Roi chéri de son peuple.