Jardins, promenades et marchés

1787, n°81, 22 mars, Variétés, Lettre de M Nigood-d’Outremer Aux Auteurs du Journal

Messieurs,

Vous avez reçu, dans le temps, mes très humbles remontrances sur les raquettes des rues et les cerfs volants des Boulevards. En attendant la réforme, j’ai tourné bride du côté des Champs-Elysées. Tous les jours, ma jument Bonasse et moi, nous faisons, l’un portant l’autre, nos deux lieues. Que le Bois de Boulogne est charmant ! qu’il nous plaît à nous autres Anglais ! Peut-être y entre-t-il un peu d’amour propre ; car, ne vous en déplaise, c’est nous qui l’avons planté. J’ai toujours regretté qu’il ne remontât pas jusqu’à l’Etoile, ou que les Champs Elysées ne continuassent pas jusqu’à la Porte Mailiot.

Il faut traverser, sans abri, tantôt une zone torride, tantôt une zone glaciale, pour gagner ce joli parc. Tout dépouillé qu’il est de verdure, il était ce matin paré des plus belles personnes du monde. Je suis Peintre, et je ne voyais pas de sang-froid ces jeunes Amazones si sveltes, montées sur des chevaux de race, et dont la course légère le disputait aux Cavaliers rapides qui les entouraient.

J’ai quitté Londres. Me voilà tout-à-fait Bourgeois de Paris ; car j’aime infiniment le Soleil et le Roi de France. Je m’intéresse à ma nouvelle patrie, et je ne puis me taire quand je suis poursuivie par quelque idée qui peut servir à son embellissement. Je vous dirai, comme le Docteur Sterne, mon compatriote : peut-être n’est-il pas nécessaire que vous me lisiez ; mais il m’est nécessaire de vous écrire.

Je vous propose aujourd’hui d’unir le Bois de Boulogne aux Champs-Elysées. Je ne demande rien de difficile ou de dispendieux ; et je place bien vite, à côté de la dépense, l’avantage qu’on en peut tirer. Il est possible de faire, en très peu de temps, des murs du Bois de Boullogne, une ceinture de maisons de campagne. Il suffira pour cela de vendre une portion de terrain, et d’accorder des issues dans le Bois, aux conditions, pour les Acquéreurs, d’y tenir portes closes. Il faudrait, en même temps, acheter et planter quelques terrains aux deux côtés de l’Etoile. Mais ceux qui seraient démembrés du Bois de Boulogne, rendraient au-delà du prix de cette acquisition. Les Constructeurs se présenteraient en foule ; et je connais des familles anglaises qui, sur le champ, viendraient y bâtir les plus jolies bastides. Les collines de l’ Etoile resteraient à peu près telles qu’elle sont. On se contenterait d’en adoucir la pente, et le mouvement donné à ces sites irréguliers en ferait une espèce de jardin anglais.

Il me semble déjà voir tout Paris qui abonde dans ces Champs, alors vraiment Elisées. Les Bourgeois à pied, les Mères avec leurs Enfants, les Rêveurs avec leurs Livres, tous y vont chercher le plaisir ou la santé. C’est là que l’on placerait, pour l’été, les Waux-Hall, les Ranelach, les Panthéon, au milieu de tout ce qui fait la joie du Peuple. L’affluence que l’on voit aux fêtes de Longchamp s’y renouvellerait tous les beaux jours de l’année. Cette magnifique avenue, couverte d’ombrage, se lierait merveilleusement avec l’entrée imposante des Tuileries, du nouveau Pont de la Paix,

Et serait digne enfin de ce pompeux rivage,

De palais, de jardins, de prodiges, bordé,

Qu’ont encor embelli, pour l’honneur de notre âge,

Les enfants d’Henri Quatre et ceux du grand Condé.