1787, n°88, 29 mars, Variété, Aux Auteurs du Journal, ce 25 mars 1787

Messieurs,

Votre Journal rend tous les jours les services les plus importants. Permettez que j’y dépose un Projet de réforme qui intéresse l’ordre public. Cette expression paraîtra peut-être bizarre, lorsqu’on apprendra qu’il s’agit de changer la promenade de Long Champs, et d’indiquer un autre endroit du Bois de Boulogne pour servir de rendez-vous aux brillants équipages qui s’y réunissent pendant trois jours de la Semaine Sainte. J’espère cependant que les bons esprits, après avoir lu ma Lettre, ne regarderont pas mon Projet comme étranger à l’ordre public.

Quelle est l’origine de la promenade de Long-Champs ? Quel est le but ? ce sont les deux objets que je discuterai en peu de mots.

Tout le monde sait que l’Abbaye de Long-Champs faisait chanter autrefois les Leçons des Ténèbres par les plus célèbres Actrices de l’Opéra. ON se portait en foule à cette Eglise pour les entendre. En revenant, on se promenait dans une longue allée, bordée d’arbres, qui offrait le coup d’œil le plus agréable. Aujourd’hui ni la musique de l’Abbaye de Long-Champs ni l’allée couverte, n’existent plus ; un long chemin, inégal, raboteux, et plein de sable remplace l’ancienne promenade. Malgré ces changements, on continue de choisir l’endroit le plus incommode, et le plus désagréable du Bois de Boulogne pour servir de rendez-vous aux voitures les plus brillantes de la Capitale. On conviendra facilement que cette constance à suivre l’usage est ridicule.

En effet, quel est le but de la promenade de Long Champs ? Les élégants, les petites maîtresses, les curieux de tous les rangs et tous les états y vont pour voir, pour être vus, ou pour jouir du coup d’œil qu’offre le spectacle d’une promenade champêtre, où tout ce qu’il y a de plus brillant dans Paris se rend dans les premiers jours du Printemps.

N’est-ce pas manquer ce but que d’aller dans un endroit découvert qui ne présente qu’un aspect aride ? lui substituer la plus belle allée du Bois de Boulogne, celle où l’on trouve tous les agréments de la promenade réunis, c’est faire une réforme qu’on désire depuis longtemps. L’allée dont je veux parler est celle qui va du Château de la Muette à celui de Madrid. Toutes les avenues qui y conduisent sont autant de superbes promenades, qui offrent les sites les plus variés, et les plus agréables ; ainsi in aura non seulement l’avantage de jouir dès l’entrée du Bois de Boulogne du plaisir qu’on allait chercher en vain dans l’endroit le plus éloigné, mais encore d’écarter et de prévenir les embarras qui compromettaient souvent la vie des Citoyens, malgré les précautions de la vigilance la plus exacte et la plus attentive.

J’aime croire que si vous donnez une place à ma Lettre dans votre Journal, cette réforme sera annoncée assez tôt pour que le Public en profite cette année.

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