1788, n°89, 29 mars, Variétés, Lettre du Baron Thunder aux Auteurs du Journal

Par l’effet d’un Magnétisme très animal, je me suis laissé très entraîner à Longchamp le Vendredi Saint ; c’est-à-dire que j’ai partagé le délire de tout Paris. Il n’y avait assurément pas le mot pour rire ; et si l’on condamnait à la pluie les belles Dames que j’ai vu la recevoir si gaiement sur les Wisckis, certainement elles s’y soumettaient avec un peu d’humeur.

Mais le dépit de la dépense, le désespoir du désoeuvrement ; voilà ce qui a fait courir au bois de Boulogne contre vents et marée. L’hiver est une véritable maladie, dont la convalescence est assez longue dans notre climat. Il semble donc que l’on pourrait choisir un temps plus raisonnable et plus reculé, et que l’on pourrait aussi réformer Longchamp.

Voltaire disait que la promenade est le premier des plaisirs insipides. Elle cesserait de l’être, si l’on allait sur la verdure jouir des premiers rayons du soleil, aux premiers jours de Mai. Les honnêtes Bourgeoises y viendraient avec modestie et la fraîcheur de leur toilette. Les beaux attelages, les voitures élégantes, les phaétons, y brilleraient de tout leur éclat. Les jeunes feuilles se marieraient merveilleusement avec les plumes ondoyantes qui ombragent les plus jolies têtes de la Ville et de la Cour. Les yeux seraient comme enchantés par tout ce que le printemps et la mode peuvent offrir à la fois de plus doux et de plus brillant.

Mais je ne connais rien de plus oiseux que de s’en aller pour revenir. Il faudrait au moins que cette course du Bois de Boulogne eût un but déterminé. Ce ne sont pas des Châteaux en Espagne que je propose ; j’abats celui de Madrid. A la même place, on bâtit un Rhanelac ; il est ouvert le premier de Mai ; au beau milieu je plante un grand arbre autour duquel les Mères assises verraient danser leurs enfants ; et j’institue une Kermès, à l’imitation des belles Fêtes Flamandes. Enfin, ce sera le sujet d’un de nos plus beaux Tableaux du Salon prochain.

Il pourrait en résulter que l’on quitterait un jour l’air empesté des Boulevards, pour l’air pur de l’Etoile ; et que l’on irait, aux rayons du soleil couchant, jouir du plus magnifique horizon.

En attendant que tous ces projets se réalisent, l’Optimiste dira que les averses de Longchamp sont un heureux effet des causes secondes : car les chapeaux, les pompons, les rubans, les linons, il a fallu tout renouveler.

Le goût du luxe entre dans tous les rangs,

Le Pauvre vit des vanités des Grands ;

Et le travail, gagé par la mollesse,

S’ouvre, à pas lents, la route à la richesse.