1788, n°2, 2 janvier, Variété, Aux Auteurs du Journal

Messieurs,

En faisant ces derniers jours l’énumération du nombre des projets d’embellissements pour Paris, qui ont été insérés dans vos Feuilles depuis que l’on s’occupe de dégager les Ponts, je m’accusais de paresse en portant envie à tant de zélés devenus Architectes depuis cette époque ; je me reprochais de n’avoir point , comme eux, désobstrué, ouvert, agrandi, érigé, aligné, supprimé, percé, décoré et tant d’autres choses que j’aurais pu faire d’autant mieux que, n’ayant aucune propriété, j’aurais plus que tout autre travaillé pour le bien public. Mais il n’y a plus moyen d’y revenir, car je viens de tracer sur la Carte de cette Ville tous les projets de mes chers Concitoyens, et il résulte de leur réunion un si copieux abattis au centre de Paris, que je me verrais obligé pour y prendre part d’en aller attaquer les flancs ou d’en proposer la réédification entière. Or je le déclare, abattre et projeter dans les faubourgs n’a point d’attraits pour moi, et je n’ose proposer de renverser la Ville pour la mettre à neuf, dans la crainte de passer pour un homme extravagant.

Quoi qu’il en soit, mon émulation est trop éveillée pour en rester là, et puisque je ne puis avoir part aux grandes opérations, je vais payer mon tribut par une idée moins vaste à la vérité, mais qui pourtant pourra plaire aux gens du goût, et particulièrement à Messieurs les Artistes, qui peut-être ont pensé mille fois à ce que j’ai à proposer ici.

Transportons-nous à la belle Colonnade du Louvre, c’est à ce majestueux édifice que s’adapte mon idée, à ce monument auquel il ne manque qu’un peu de sculpture pour lui assigner son vrai caractère de magnificence, lui donner ses justes proportions, détruite les masses pesantes conservées pour y faire des bas-reliefs, et y occuper les niches qui, étant ornées de figures, offriraient à l’œil des points intermédiaires dont l’effet servirait à la grande largeur des entre-colonnenements.

J’ignore quelles statues devaient décorer cet édifice sous Louis XIV (note : L’on voit dans la seconde niche ò droite de l’avant-corps du milieu une Statue représentant Jupiter attribué à Girardon); mais j’ai souvent pensé que les pus grands Rois de la Monarchie y figureraient bien ; ou que si l’on voulait y placer des statues faites d’après les meilleurs antiques, on pourrait profiter des copies que sont chargés d’en faire les Sculpteurs Pensionnaires du Roi à Rome ; il ne s’agirait que d’en fixer le choix et les proportions à ce jeunes Artistes qui, apercevant dans la perfection de ces figures le premier degré de leur réputation, y apporteraient tous leurs soins et pourraient, à leur retour ici, obtenir pour récompense de traiter les bas-reliefs, ovales placés au-dessus des niches.

Le fronton serait donné en concours à MM les Académiciens ; c’est ainsi qu’en quinze ans, l’on verrait achever entièrement un Edifice qui alors serait un des chef-doeuvres de la Nation.

Me voilà quitte, Messieurs, de la tâche que je me suis imposée à moi-même ; il ne me reste plus qu’un mot à dire relativement au projet qui a été proposé, dans votre Feuille du 4 déc., de décorer le Jardin des Tuileries des figures de nos Hommes illustres destinées à être placées au Muséum : l’Auteur de cette idée intéressante n’a point réfléchi qu’en plaçant ces figures dans un aussi vaste espace, la proportion de celles qui sont faites jusqu’ici y paraîtrait beaucoup trop grêle. On pourrait aussi lui marquer des regrets de luivoir enlever et reléguer Aria et Petus, Enée, Annibal et Jules-César, parce que la Piété, la Chasteté et la Valeur sont des vertus aimées et chéries de toutes les Nations et qu’elles semblent porter un caractère plus sublime encore, lorsqu’elles nous sont représentées par des personnages d’une si haute antiquité. J’ajouterai aussi que ces chef-d’œuvres de sculptures produisent de si beaux effets dans les places qu’ils occupent, que le désir de les y trouver toujours ne pourrait être balancé que par la crainte de les voir ainsi exposés aux injures des saisons.

J’ai l’honneur d’être, etc,