1786, n°238, 26 août, Variété, Aux Auteurs du Journal, A Alan par Martres en Comenges le 6 août 1786

Messieurs,

Si vos Lecteurs n’ont pas été fatigués de la longue Lettre où j’ai délayé l’idée creuse d’une pyramide encyclopédique, pour l’exécution de laquelle je souscrirais tout ce que je possède, je me permettrai un petit supplément.

Il y aurait beaucoup à dire sur ce projet, encore plus à taire et à penser. Quels seraient les électeurs des matières ? Les rédacteurs, pour n’extraire que les éléments des véritables sciences ? Quels seraient les juges ? Quels seraient les arts dont il faudrait perpétuer la mémoire ? Seraient-ce ceux de perforer des canons, de comburer une flotte entière ? etc Périssent à jamais de telles inventions !..

Quelle émulation pour être admis à ce sanctuaire de l’immortalité ! Que d’efforts ; mais aussi de cabales ! etc. Mes vues sur cet objet sont immenses comme l’avenir, et élevées fort au-dessus des Pyrénées qui bornent mon horizon. Quelques hommes m’entendraient si je m’expliquais ; peu trouveraient mon plan de leur goût ; beaucoup désireraient déjà de voir leur médaillon fixé à ce monument.

En réfléchissant profondément, on sent qu’il n’y a qu’un Souverain puissant, éclairé et philosophe dans la sage et véritable acception du terme, qui puisse former une telle entreprise. Je ne dis pas qu’il faudrait incendier presque tous nos Livres, parce qu’ils sont de nature à périr naturellement en peu de temps ; mais je voudrais seulement qu’on modelât en petit toutes les machines nécessaires à faciliter les travaux des hommes, dans le genre utile, sous des formats tels que MM Perier, estimables Patriotes, en ont exécutés avec tant de précision….Quand la base de la pyramide n’aurait pas plus d’étendue que le magnifique carré de l’observatoire donné par C Perrault, il y aurait place dans son intérieur et le souterrain qu’on y pratiquerait en voûte sans bois ni fer pour y déposer non seulement les modèles de ce qu’on a inventé jusqu’à présent, absolument essentiel à la félicité de l’homme, mais encore tout ce que le génie pourrait créer dans l’avenir. Il y a plus à supprimer qu’à conserver : intenda mi chi può, che m’intendo io.

Je n’aurai plus de voeux à faire, sinon qu’une révolution générale sur le globe détruisit toutes les prétendues sciences, excepté celles du dépôt. Alors on ne pourrait pas dire de ce monument ce que Pline écrivait de ceux d’Egypte, Regum pecuniae otiosa ac stulta ostentatio : mais le Prince ou la Nation qui l’érigerait pourrait, avec justice, y mettre ces vers célèbres d’Horace.

Exegi monumentum aere perennius

Regali que situ pyramidum altius

Quod non tempus edax, non aquilo impotens

Possit diruere, aut innumerabilis

Annorum series et fuga temporum.

Il n’y aurait pas d’inconvénients à terminer la pyramide par une verge électrique: le célèbre Franklin ne devant être oublié dans aucun siècle. Je suis, etc

L’Hermite des Pyrénées.