I.1.1. Les faits

À la fin de la guerre, la forte présence de la puissance publique dans l’économie américaine était maintenue, tant au niveau fédéral que local. L’ère Roosevelt avait profondément bouleversé les relations entre le secteur privé et le secteur public par une intervention de l’État inédite jusqu’alors, et décriée par une partie des conservateurs. La guerre concrétisa un nouveau stade dans ce développement : « Dr Win the War » avait remplacé le New Deal (Wynn, 1996). Selon les statistiques du rapport économique du président, les dépenses de l’État fédéral, qui avaient culminé à 9.5 milliards de dollars en 1940, étaient montées à presque 93 milliards en 1945 (voir tableau 2, ci-dessous). Ces dépenses, qui représentaient 10,5 % du PIB en 1936, en représentaient 41,9 % en 1945 (voir tableau 1 ci-dessous). En trois ans de guerre, il se construisit quinze fois plus d’usines que lors du New Deal, celles-ci financées pour une majeure partie par les dépenses publiques (Wynn, 1996).

Si le niveau des dépenses publiques chuta en temps de paix, celui-ci resta largement supérieur au niveau d’avant guerre (tableau 2). La transition vers une économie de paix se fit par l’intermédiaire de revenus de transferts assurés par l’État au travers du G.I. Bill, favorisant les prêts étudiants et l’accès au logement. L’après-guerre vit l’extension du contrôle de l’État à de vastes domaines de la société, au-delà des domaines traditionnels (Young, 1945). Young cite par exemple l’assurance sociale, la réglementation des affaires, de l’industrie, du travail et « l’acceptation d’une armée de contrôles plutôt étrangers aux traditions et coutumes de notre société » (1945, p. 493)30. Durant la période 1942-1950, ce sont les dépenses d’assistance sociale (allocations et autres transferts) qui augmentèrent le plus (en moyenne de 200 %), soit plus que les autres postes, à l’exception des dépenses réservées aux écoles. Ces dépenses représentaient en 1950 presque 30 % des dépenses publiques totales, contre 14 % en 1942 (Fitch, 1953). Ajouté à son influence financière directe, la puissance publique développa le contrôle indirect de certaines activités au travers des aides financières octroyées pour le développement de nombreux programmes. En 1953, suivant l’implication des États-Unis dans le conflit Coréen, les dépenses publiques remontèrent à 76 milliards de dollars, soit environ 20 % du PIB (tableaux 1 et 2). Stimulé par la Guerre Froide, le complexe militaro-industriel, fondé sur d’étroites relations entre l’État et d’importantes compagnies comme Ford ou Lockheed, fut un des ressorts de l’expansion d’après-guerre.

Tableau 1 : Dépenses et revenus fédéraux en pourcentages du PIB
Tableau 1 : Dépenses et revenus fédéraux en pourcentages du PIB

Source : Reproduit du rapport économique du président de 2008 (CEA, 2008).

Tableau 2 : Dépenses et revenus fédéraux en millions de dollars
Tableau 2 : Dépenses et revenus fédéraux en millions de dollars

Source : Reproduit du rapport économique du président de 2008 (CEA, 2008).

L’implication du gouvernement dans les affaires économiques fut symbolisée par le Fair Deal du président Truman, qui avait pour but de garantir aux Américains un certain niveau de sécurité économique et sociale, par le biais d’une augmentation du salaire minimum et du projet de création d’une assurance maladie31. Malgré l’opposition du Congrès à certaines mesures telles que l’assurance maladie, ce programme, établi en référence au New Deal de Roosevelt, symbolisa la croyance des politiques dans le rôle stabilisateur de l’État dans l’économie. Le relatif consensus sur ce point fut soutenu par le travail du Council of Economic Advisers, qui avait été créé par l’Employment Act de 1946 (Strayer, 1950). La présence de conseillers du président en matière économique n’était pas nouvelle. Durant les années 1930, l’administration Roosevelt avait crée un organisme aux prérogatives similaires, le Brain Trust. Dans le cadre de l’Act de 1946, le Council of Economic Advisers endossa plusieurs fonctions, notamment l’appréciation de l’état de l’économie américaine, la formulation des plans de stabilisation des fluctuations de court et long terme et l’évaluation des plans et politiques des autres agences gouvernementales ainsi que leurs effets sur les fluctuations nationales. L’Act de 1946 donnait ainsi un certain poids au Council of Economic Advisers, dans la mesure où le président suivait ses conseils (ibid.). Plus tard, au début des années 1950, les menaces de guerre contre la Corée renforcèrent le pouvoir du Council of Economic Advisers (Bernstein, 2001). L’élection de Dwight D. Eisenhower en 1952 ne changea donc pas la tendance générale à l’affirmation de la place de l’intervention publique dans la société américaine.

Notes
30.

« […] the acceptance of a host of controls which are quite alien to the traditions and customs of our national society ».

31.

Pour plus de détails sur ce point précis, voir Huret (2008). Le projet d’assurance maladie faisait partie du Wagner-Murray-Dingell Bill, contre lequel s’opposa le lobby des médecins organisé autour de l’American Medical Association. Le projet de loi fut présenté maintes fois au Congrès durant la décennie 1940, mais il ne fut jamais voté.