Introduction : L’analyse des politiques culturelles comme approche du fait politique propre aux Sciences de l’Information et de la Communication (S.I.C.).

I – La place des sciences de l’information et de la communication dans le champ du politique

Les Sciences de l’Information et de la Communication peuvent être définies comme l’« étude des processus d’information ou de communication relevant d’actions organisées, finalisées, prenant ou non appui sur des techniques, et participant des médiations sociales et culturelles » 17 . Les S.I.C., pluridisciplinaires, peuvent faire appel à la sociologie, à la philosophie, à la sémiotique, à la psychologie sociale, etc… Elles ne constituent pas un ensemble clos de théories, de données empiriques. En l’occurrence, elles se trouvent à un carrefour où l’on peut confronter les unes aux autres des problématiques présentes dans d’autres domaines, les mettre à plat et les éclairer les unes par les autres.

L’analyse politique part du présupposé que le phénomène politique peut faire l’objet d’une connaissance suffisante, et que l’observation des faits, de la réalité, pourra permettre de rendre raison d’un certain nombre de faits sociaux. Cette étude se pose comme une tentative d’en finir avec le présupposé selon lequel les sciences de l’information et de la communication n’auraient aucun rôle à jouer au sein des sciences politiques. Au contraire, tout au long de nos travaux, notre objectif a été d’établir la complémentarité de ces deux champs.

Le politique 18 représente à la fois les institutions, les hommes, les discours théoriques, la conception politique de l’homme, de la religion, de l’art, de l’idéologie.

La culture, comme le politique, est une des articulations possibles de trois instances : le réel, le symbolique et l’imaginaire19. Le réel est le champ du pouvoir et de l’action. Le symbolique est celui de la représentation, donc entre autres de la culture. L’imaginaire est le champ de la peur ou de l’utopie qui peut faire l’objet de représentations et passer ainsi du côté du symbolique. La culture a pour but, d’une part de diffuser les représentations, de les rendre sensibles et intelligibles, et d’autre part de les conserver dans la mémoire collective. Elle suppose, de fait, l’adhésion et le désir. Le rôle du désir est de transformer le réel en symbolique, en particulier par les politiques culturelles. Le rôle du pouvoir est de transformer l’imaginaire et le symbolique en réel.

La culture construit une structure de l’espace : toute pratique culturelle contribue à asseoir, à ancrer une opinion publique dans l’espace. Par ailleurs, la politique culturelle contribue à homogénéiser les façons de penser et participe à leur légitimation.

L’espace public est l’ensemble des lieux où sont mis en œuvre le pouvoir et la contestation qui s’oppose à lui, ce qui nous conduira à nous interroger sur la question de l’espace public local et de ses aménagements culturels. Comme l’a expliqué Guy SAEZ dans l’étude pour la Documentation française sur les Equipements culturels territoriaux, projets et modes de gestion, « [l]es politiques culturelles ainsi étendues [grâce aux lois DEFFERRE] concernent donc aussi bien les objets techniques que sont les équipements, que les hommes et l’ensemble des interactions qu’ils entretiennent entre eux (relations entre l’artiste et les spectateurs, cohésion sociale…), ou les symboles, c’est-à-dire les exigences de sens dont sont porteuses ces politiques culturelles » 20 .

Aussi, à travers les politiques d’aménagement culturel du territoire, les élus ont renversé la balance en comprenant, par exemple, qu’une politique culturelle doit être aussi à l’écoute des cassures sociales qui s’accentuent, mais également chercher la meilleure manière de jouer son rôle sur les lieux de cette fracture. « L’art doit jouer, ici, comme ailleurs, son rôle d’excitant critique. La politique culturelle est là pour favoriser et même provoquer cette fonction» 21. Jean-Pierre VINCENT fait ainsi part de sa volonté de légitimer la politique culturelle à l’échelle nationale et internationale, mais aussi son refus de toutes formes d’instrumentalisation de l’art. Cette critique participe au mouvement de revalorisation de la création lancé dans le courant des années 1990 pour répondre aux critiques de nombreux journalistes, universitaires, élus et professionnels à l’égard de l’art contemporain.

Le terme « culture » désigne à la fois la culture individuelle et la culture collective, mais aussi la dialectique entre les deux. Il conviendra d’expliquer la spécificité du rapport entre singulier et collectif construit par les politiques culturelles du F.N. ; et en particulier, il faudra poser la question de la citoyenneté et la spécificité du rapport entre réel, symbolique et imaginaire tel qu’il est structuré dans la culture du F.N. Il conviendra de parler du lien existant entre la culture et le droit d’accès aux formes et aux représentations de la culture et de l’identité. Le Front national est un parti politique qui se caractérise par deux types de censure dans le champ de la médiation culturelle. La première est la censure des personnes qui se voient interdire l’accès à la médiation culturelle, ce qui constitue un trait particulier et nouveau de la discrimination22. La seconde est une censure des pratiques culturelles considérées comme non conformes à l’éthique des politiques culturelles du F.N.

Philippe BRAUD, dans son ouvrage L’émotion en politique, s’est attaché à souligner le fait qu’« [a]ujourd’hui, les dimensions émotionnelles de la vie politique sont largement méconnues comme objet de recherche en sciences sociales» 23 . Partant de cette analyse, nous souhaitons montrer que les S.I.C., du fait de leur interdisciplinarité, ont cette faculté d’analyser la culture, en tant que facteur d’expression et producteur de sens.

Travail sur les formes et les représentations, l’esthétique renvoie à une représentation de l’idéal de soi dont l’expression peut susciter de l’émotion. Cette représentation rend possible la conscience de l’appartenance culturelle de ceux qui sont en présence des formes de l’art. « L’émotion esthétique pose le problème du sens de l’œuvre d’art auquel on peut répondre ne trois points : l’œuvre d’art permet d’identifier le système symbolique et politique dans lequel elle se trouve ; l’œuvre d’art est une médiation de reconnaissance d’une culture ; et l’œuvre d’art permet de se situer comme sujet par rapport aux autres : elle permet l’identification sociale » 24 .

Ainsi à partir de ces différents constats, nous pouvons suggérer que la spécificité d’une approche du politique propre aux S.I.C. se caractérise par trois points : l’analyse du discours, des images, des stratégies de communication et de représentation ; la réflexion autour du concept d’identité politique ; et la problématisation de la médiation.

Notes
17.

Les Sciences de l’Information et de la Communication, rapport du Comité national d’évaluation, mars 1993, Annexe V, Domaines de compétences, 71e section du CNU, p.123

18.

Le terme « politique » vient du mot grec polis (la cité). Le sens attribué au mot varie sensiblement suivant que l’on parle de la politique ou du politique. La politique est l’ensemble des pratiques par lesquelles la Cité se représente elle-même et par lesquelles elle agit. Le politique désigne l’art de gouverner mais aussi le jeu qui va aboutir à ce que le gouvernement puisse gouverner. Parler du politique signifie une désignation par un seul mot de tout ce qui relève du gouvernement et de la représentation de la société.

19.

Le dispositif Réel-Imaginaire-Symbolique (R.I.S.) vient de Jacques LACAN, et a été notamment présenté dans le Séminaire XXII.

20.

SAEZ (1994), p.22.

21.

Interview de Jean-Pierre VINCENT, réalisée pour Le Monde diplomatique en mai 1995. Jean-Pierre VINCENT a été le Directeur du théâtre des Amandiers de Nanterre, et également celui de la Comédie-Française.

22.

Nous citerons à ce propos l’exemple des médiathèques et bibliothèques des villes frontistes entre 1995 et 1998.

23.

BRAUD, Opt. cit. p.7

24.

LAMIZET (1995), pp.166-175