3 – 2 – Les politiques culturelles comme facteur du lien social

Pierre MOULINIER, dans son ouvrage Politique culturelle et décentralisation, relevait, à travers le rapport de Bernard LATARJET « L’aménagement culturel du territoire» remis en janvier 1992 à Jack LANG, la dimension sociale de la culture telle qu’elle est perçue par un grand nombre d’acteurs politiques : « Permettre à chacun de donner forme et sens, d’accéder aux moyens, d’appréhender le monde, telle est aujourd’hui la fonction sociale de la culture. Plus actuelle que jamais aux yeux des responsables interrogés, elle est considérée par eux comme un facteur essentiel du lien social » 90.

Par ailleurs, l’intervention de l’Etat ne concerne pas exclusivement le Ministère de la Culture, mais comme le dit Jacques CHIRAC en 1980, dans sa préface au livre de Pierre EMMANUEL Culture, noblesse du monde 91 , « la responsabilité de la culture nest-elle plus du seul domaine du ministère créé à cet effet. Elle incombe à lensemble du gouvernement, et particulièrement à certains ministères sociaux, à certains organismes publics dont les sociétés de radio-télévision ne sont pas les moindres ». En effet, la culture dépend certes d’un ministère propre, mais son activité a également des conséquences sur le plan économique et social.

La politique socioculturelle demeure le terrain d’action privilégié du F.N. qui y voit un moyen permettant la propagation spectaculaire de son idéologie. Alors que la culture soutenue aujourd'hui en France repose sur des valeurs d'ouverture et d'échange, la conception de la civilisation revendiquée par le Front national s'appuie sur les bases du repli sur soi et du rejet de l'autre.

Michel de CERTEAU dans un numéro Hors série de la revue Futuribles 92 estime que l’objectif principal de toute politique culturelle est « la mise en œuvre de l’ensemble des moyens capables de développer les possibilités de l’expression et d’assurer la liberté de celle-ci. […] Il y a lieu en conséquence de ménager les conditions de la créativité où qu’elles se situent, de reconnaître la diversité culturelle en garantissant l’existence et le développement des milieux les plus faibles ». Cette opinion est au cœur de notre travail dans la mesure où elle met en avant la notion de diversité culturelle, remise en question dans les discours du Front national. « L’impérialisme culturel cosmopolite » est dénoncé par les dirigeants frontistes qui axent leur théorie et leurs préceptes sur leur notion de l’« identité » comme il le sera démontré ultérieurement.

Comme l’a rappelé Renaud DELY93, journaliste à Libération, Jean-Marie LE PEN a annoncé au début du mois de juin 1996, le lancement par son mouvement d'un « combat culturel [destiné à] gouverner les esprits par la culture » 94 . Cette déclaration peut, selon nous, se définir à partir de l’ouvrage de Peter REICHEL, La fascination du nazisme, dans lequel ilmontreque « l’art ne se résume pas à l’œuvre d’art ni à l’expérience d’artistes : il représente aussi et précisément un pouvoir social. Subjectivement et individuellement, le produit artistique donne sans doute la première place à l’enchantement, à la fascination et à la tension. Mais dès qu’il transmet des symboles, des images, etc., il joue aussi un rôle social. L’art est ainsi considéré comme un agent de contrôle social, dans la mesure où il oriente l’interprétation de la réalité » 95. C’est cette logique qu’entend appliquer le Front national dans son intervention dans le champ culturel. « Gouverner les esprits par la culture » consiste à utiliser des formes symboliques porteuses des valeurs auxquelles seraient sensibles les militants et les électeurs, afin de promouvoir le parti, d’influencer les opinions des citoyens et d’amener le F.N. à la victoire électorale.

Notes
90.

LATARJET, in MOULINIER (1995), pp.26-27

91.

Préface du livre de Pierre EMMANUEL (1980)

92.

DE CERTEAU (1973)

93.

« L’hégémonisme américain, nouvel ennemi du F.N. », Libération, 30 août 1996

94.

Nous estimons qu’il est important de relever que l’expression « combat culturel » provient d’Alfred ROSENBERG, théoricien allemand du Nazisme, comme l’a rappelé Peter REICHEL dans son ouvrage La fascination du nazisme paru aux Editions Odile Jacob.

95.

REICHEL (1993)