3 – 4 – Les politiques culturelles comme outil de propagande politique

Depuis la rhétorique ancienne, et particulièrement depuis les sophistes106, nous connaissons les facultés de persuasion des discours politiques. Par l’effet d’une rhétorique jouant de l’émotion et de l’affect, les hommes politiques diffusent des messages savamment structurés pour toucher de façon individuelle l’auditeur. Ce dernier peut ainsi avoir le sentiment que le discours ne s’adresse qu’à lui en ne traitant que des problèmes qui lui sont propres. Dans le cadre de rassemblements, la propagande a pour rôle d’électriser les foules en cristallisant les discours dans l’imaginaire des participants. Il s’agit là d’un habile jeu politique qui mobilise le plus grand nombre tout en donnant le sentiment à chaque personne d’être à la fois comprise et entendue dans son individualité et en même temps de faire partie d’une « communauté ».

Dans le champ politique, le fait d’imposer l’adhésion à des valeurs, des doctrines, communes à un groupe, est un facteur essentiel dans la quête du pouvoir. Le partage des croyances s’inscrit dans le passage du sujet de son identité individuelle à l’appropriation d’une identité collective.

René HOMBOURGER a expliqué dans un article paru dans La Revue hebdomadaire que « la propagande n’est pas un but en soi, c’est un moyen en vue d’un but» 107 . Pour le Front national, la propagande politique est considérée comme un outil de mobilisation des adhérents et des militants au nom de cette identité imaginaire. L’identification dont font part les membres de la famille frontiste, traduit une forme de « suprématie » de l’identité collective sur l’identité individuelle. L’identification, selon Malek CHEBEL, est un « [p]rocessus par lequel l’individu arrive à acquérir une identité» 108.

Le caractère symbolique de la culture peut amener le sujet à se mobiliser pour des « valeurs » qui sont représentées à travers l’œuvre. Or cette mobilisation ne peut s’avérer effective que si le sujet interprète l’œuvre selon les critères exposés par le parti mais aussi selon ceux qui sont propres à tout sujet en fonction de son expérience, de son éducation, de son environnement personnel et professionnel dont dépendent les goûts. Il peut ainsi exister une part d’indécision dans l’interprétation d’une œuvre de création et donc dans le jugement effectué par le public.

Or dans le cadre du notre objet d’étude, les représentations esthétiques prennent, selon nous, la forme d’une propagande politique dont les principes ont été définis par le parti de Jean-Marie LE PEN. La propagande se confond avec la culture même de la nation, telle que la conçoit le parti. Toutes les manifestations de l’esprit national devraient se soumettre à elle. « Les subventions publiques seront accordées aux créations artistiques qui respectent notre identité nationale comme les valeurs de notre civilisation » 109 . Réfuter toute aide publique à la création pour des œuvres qui ne répondraient pas aux critères esthétiques frontistes permet de limiter ce risque. Et c’est dans cette orientation que semble vouloir se diriger le F.N.

Nous estimons que l’emploi du terme « valeur » participe, à la mise en œuvre d’une propagande politique dont l’objectif est la diffusion de l’idéologie frontiste par la « conquête des esprits »110. Roland BARTHES, dans son ouvrage Mythologies 111, a montré que le mythe est une parole qui se réfère à des faits porteurs de sens. La référence obsessionnelle, faite par le F.N., à l’identité nationale et aux valeurs qui en découlent, exprime ainsi l’imaginaire de l’identité politique du parti.

Notes
106.

Sur ce sujet, Barbara CASSIN, L’effet sophistique, Gallimard, Paris, 1995, 693 p.

107.

HOMBOURGER, « Goebbels, le « génie de la propagande » », in La Revue hebdomadaire, 10 juin 1939

108.

CHEBEL (1997), p.25

109.

FRONT NATIONAL (1993), 1ère proposition, « Restaurer la liberté d’expression et de création »

110.

Jean-Marie LE PEN, lors de l'Université d’été de 1996 dont le thème était « Culture et politique » a déclaré : « je crois que l'on doit avancer dans l'effort de la conquête des esprits » ; CitéparChristiane CHOMBEAU, Le Monde, « Le FN est divisé sur la conception d'une politique culturelle », 10 septembre 1996

111.

Paris, Éditions du Seuil, 1957