2 – Le « volontarisme culturel »

La décentralisation culturelle a pu être ainsi la grande arme du Front national pour imposer ses conceptions culturelles dans les collectivités où il a obtenu des sièges. L’autonomie des collectivités locales a favorisé ce type d’influence119 et le parti de Jean-Marie LE PEN a su l’utiliser à bon escient pour investir le terrain politique et agir par des actions surmédiatisées, comme nous le verrons ultérieurement.

Le maintien des compétences d’Etat constitue une protection contre les pouvoirs locaux investis par le Front national.

« L’art a beaucoup à attendre des politiques artistiques territoriales qui peuvent permettre de mieux l’insérer dans la cité. De ce point de vue, le territoire se différencie du réseau. Alors que le réseau est une notion sociale, le territoire appartient au champ politique. Face à des réseaux constitués, le territoire permet de redistribuer les cartes. Il est une construction qui offre au prince l’occasion d’élargir l’art et de lui conférer toute sa dimension sociale. Mais le prince est, de ce fait, responsabilisé, il doit faire vivre son territoire sur lequel des institutions autonomes ont à réaliser des objectifs. À son tour, le politique peut beaucoup apprendre de l’art qui le contraint à structurer son territoire d’un point de vue essentiellement symbolique ?» 120 .

René RIZZARDO, dans La décentralisation culturelle 121, s’intéresse à la répartition des responsabilités culturelles entre les collectivités publiques, et aux modalités de leur coopération. Son ouvrage répond à une commande du Ministre de la Culture dont l’objectif est la préconisation d’une étape de clarification du rôle des collectivités, à l’issue de laquelle de véritables transferts pourraient être envisagés dans certains domaines. L’auteur insiste sur le fait qu’il ne faut pas oublier que la décentralisation culturelle, c’est aussi la diffusion de la culture sur tout le territoire, la découverte de nouveaux publics, le développement de la création artistique. Ce projet n’est pas utopique puisqu’il est mis en avant dans les actuelles directives ministérielles. De plus, de nombreux facteurs le rendent indispensable, les initiatives passées et présentes des collectivités locales, la nécessité de redéfinir le rôle de l’Etat, les nouvelles données qui marquent le domaine culturel. Ce projet peut être mobilisateur, à condition de prendre en considération les craintes qui pèsent sur la décentralisation, que ce soit celle du retrait de l’Etat, celle d’une « recentralisation régionale » ou encore celle d’une absence de citoyens dans un jeu mené entre les décideurs publics.

Hormis le projet de non-intervention de l’Etat, c’est autour de ces derniers points que le Front national va justifier son programme en dénonçant par exemple la non-participation du public, le monopole pratiqué par l’« intelligentsia parisienne ».

En effet, nous tenons à rappeler que comme n’importe quel parti politique, le Front national, par le biais de l’Institut d’Action Culturelle (I.A.C.), met en œuvre des recherches et utilise de nombreuses références bibliographiques (rapports, ouvrages) pour établir son programme et ainsi développer son idéologie.

L’objectif principal de cet organe interne du parti, présidé par Bernard ANTONY, est l’initiation à une vision commune et unique de la culture et la formation des cadres aux questions culturelles. Il apparaît ainsi essentiel aux yeux des dirigeants frontistes de promouvoir une « pensée unique » et de permettre aux futurs dirigeants, peut-être élus, de maîtriser les enjeux de ce domaine d’intervention. En 1998, l’organigramme présenté sur le site Internet du F.N., rappelait que la mission de l’Institut était de « [f]aire face à la contre-culture de la gauche, symbolisée par le groupe Nique ta Mère, défendue par le pouvoir et les lobbies anti-français [et que] le Front national propose, non pas une culture de droite, mais une culture droit française, celle du beau, du vrai et du bien » 122 .

L’Institut d’Action Culturelle est un laboratoire, un club politique dans lequel se fondent les idées et les stratégies que vont développer les dirigeants du parti. Il s’agit également d’un institut de formation des cadres du parti dont l’objectif est de diffuser la culture d’extrême droite. Ses membres, tels des archivistes, ont pour mission de définir, puis de rechercher tout ce qui, dans l’histoire de l’extrême droite française, permettra d’illustrer l’idéologie du parti (tout en satisfaisant ses différentes mouvances). Ainsi les membres de l’I.A.C. sont chargés de formuler les argumentaires des cadres du parti par la constitution de dossiers s’appuyant à la fois sur des articles de presse, des critiques journalistiques, des articles émanant d’universitaires, des ouvrages traitant de l’art contemporain dans ses formes les plus larges, etc… Ces dossiers permettent à leurs utilisateurs de renforcer leurs propos par une argumentation qui s’appuie sur des sources externes au parti. Ainsi le F.N. peut émettre des critiques en se fondant sur celles qui sont émises par d’autres personnes ce qui donnerait plus de crédibilité à ses propos.

En parfait stratège, le Front national prépare ses cadres à la « guerre culturelle » en leur apprenant les règles de l’esquive par l’utilisation de références respectables aux yeux de ses « ennemis » pour appuyer ses propos.

Tout comme nous venons de le souligner avec le texte de Jacques RIGAUD, le parti de Jean-Marie LE PEN utilise de nombreuses objections présentées par des acteurs du champ culturel pour légitimer ses dires : Marc FUMAROLI est même cité par le parti. En effet, dans le Chapitre « Civilisation ou culture ? » du programme 300 mesures pour la renaissance de la France, nous pouvons lire que « [l]a culture subventionnée par l’Etat culturel, selon l’expression de Marc FUMAROLI, ne reconnaît que ce qu’elle subventionne et ne délivre de brevet d’existence qu’à ce qu’elle contrôle. » La culture serait ainsi contrôlée par l’Etat, en amont comme en aval, ce qui aboutirait à la constitution d’un réseau d’acteurs dans le champ de la médiation culturelle que le Front national nomme « culture officielle ». Cette « culture officielle » dominerait en France dans la mesure où elle serait juge, tant sur le plan financier que sur le plan esthétique, des œuvres diffusées sur le territoire français. Par cette critique, le F.N. exprime également sa vision des acteurs du champ de la médiation culturelle, considérés comme des porte-drapeaux de l’Etat culturel.

Notes
119.

Nous préciserons, dans les parties suivantes de cette thèse, les différentes actions menées par les élus frontistes en matière d’action et de politiques culturelles.

120.

GLEIZAL (1994), p. 243

121.

RIZZARDO (1990)

122.

Site Internet www.front-nat.fr/culture.htm , 4 novembre 1998