A – L’Etat et la culture en France à partir de 1959

1 – Les années Malraux (1959-1969)

C’est en 1959 que pour la première fois la gestion des affaires culturelles est confiée à un ministère spécialisé. Cette année-là, André MALRAUX devient ministre d’Etat chargé des « Affaires culturelles », et le décret du 24 juillet 1959 définit ses missions123. La naissance d’un ministère spécifiquement consacré à la culture, même si elle constitue une nouveauté d’un point de vue institutionnel, reste dans la lignée de la longue tradition de l’intervention de l’Etat français dans les domaines culturels remontant à l’Ancien Régime.

Ce Ministère a été chargé, dès sa création, des champs les plus traditionnels, par le transfert du domaine traditionnel des Arts et des Lettres (comprenant les spectacles, la musique, les musées, les enseignements artistiques spécialisés), ainsi que de l’architecture et des archives en provenance du Ministère de l’Education nationale. Puis par l’amorce d’une action de démocratisation, il s’est vu confier des services de l’éducation populaire du même ministère, et d’autres, chargés des activités culturelles, issus de la jeunesse et des sports et provenant d’un Haut commissariat. Enfin on y ajouta l’autorité sur le Centre National de la cinématographie qui venait du Ministère de l’Industrie et du Commerce.

Durant la période MALRAUX, le champ culturel structuré autour d’un pôle esthétique, répondait à une volonté d’affirmer une conception de la culture prenant ses distances à l’égard du contexte socio-éducatif omniprésent depuis le Front populaire et même la fin du XIXe siècle. Nombreuses des interventions de MALRAUX illustrent cette conception : « [L]e problème que notre civilisation nous pose n’est pas du tout celui de l’amusement ; c’est que jusqu’alors, la signification de la vie était donnée par les grandes religions, alors qu’aujourd’hui il n’y a plus de significations de l’homme et il n’y a plus de signification du monde, et si le mot « culturel » a un sens, il est ce qui répond au visage de mort. La culture, c’est ce qui répond à l’homme quand il se demande ce qu’il fait sur terre » 124. À une volonté de démocratisation de la culture, André MALRAUX associait une opinion très noble de la culture. Il estimait notamment que les divertissements n’entraient pas dans ce champ. La culture, selon lui, a un caractère intemporel et repose sur des valeurs et sur une signification d’ordre mystique, alors que les divertissements ont une durée limitée dans le temps des loisirs. La politique menée par MALRAUX a ainsi surtout profité aux publics cultivés, héritiers d’un «capital culturel» suffisant pour tirer profit d’une confrontation directe avec les oeuvres.

Ainsi, dès la fin des années 60, les professionnels de la culture constataient sur le terrain ce que les travaux de BOURDIEU, notamment l’étude « Les musées et leurs publics »125, mettaient en évidence à cette époque, à savoir que les obstacles qui entravent l’accès aux pratiques « nobles », qu’elles soient culturelles ou non, ne sont pas seulement matériels, mais peut-être et surtout symboliques. Les logiques de « distinction », liées aux catégories sociales et au « capital culturel », sont de plus renforcées par des inégalités géographiques. Une étude126 de Pierre BOURDIEU met en évidence les conditions sociales de l’accession à la pratique cultivée, et démontre que la culture n’est pas un privilège de nature mais qu’il faudrait et qu’il suffirait que tous possèdent les moyens d’en prendre possession pour qu’elle appartienne à tous. La culture devient donc une question d’éducation. Le sociologue soutient que la différence de fréquentation des lieux culturels se fait dans le cadre de la socialisation familiale et scolaire.

Notes
123.

Nous avons évoquées ceci dans le I « Champ des significations de la culture et de la médiation culturelle, de la conception, de l’élaboration et de l’évaluation des politiques culturelles publiques », de cette présente partie.

124.

Discours d’inauguration de la Maison de la Culture d’Amiens, 19 mars 1966. Cité par B. ANTHONIOZ, colloque « De Gaulle et Malraux », Institut Charles DE GAULLE, 13-15 novembre 1986.

125.

In « Pour l’amour de l’art », L’Expansion de la Recherche scientifique, n°21, décembre 1964, pp.26-28

126.

BOURDIEU (1969)