C – La culture politique du Front national

La culture politique du Front national constitue un ensemble hétérogène où se mêlent des éléments empruntés à divers courants de la droite nationaliste.

Dans le cadre du F.N., il est intéressant de souligner que les rapports avec le passé ne relèvent pas exclusivement de la mémoire mais également de l’imaginaire et des différentes sensibilités politiques qui le composent. Or l’une des caractéristiques de la culture politique frontiste réside dans la difficulté à satisfaire toutes les sensibilités présentes du fait d’une histoire, de traditions, de rites et de symboles différents. Cette situation est d’autant plus difficile pour le F.N. que le parti est constitué de sensibilités politiques différentes188, créant et impliquant des contradictions quant aux références culturelles notamment. Pierre MILZA, dans un article paru dans le numéro 44 de la revue Vingtième siècle 189, a recensé deux cultures politiques principales au sein du F.N. : la culture traditionaliste et la culture nationale populiste.

La culture dite traditionaliste se caractérise par « une éthique naturaliste dont les valeurs et les normes dérivent des structures immobiles de la « nature humaine », le rejet d’un égalitarisme qui est supposé contraire à l’ordre du monde […], le procès intenté à l’universalisme et à l’abstraction auxquels on oppose l’expérience de l’Histoire, l’enracinement dans la terre des ancêtres et la spécificité ethnique. » 190 Les dirigeants frontistes empruntent à la culture traditionaliste deux thèmes principaux : celui de « l’ordre politique fondé sur la tradition et sur un « ordre naturel » supposé quasiment immuable » 191 , et celui d’un Etat fort, mais qui, limité à ses fonctions régaliennes, ne doit pas empiéter sur la liberté des groupes « naturellement » constitués.

La seconde culture politique, la culture nationale populiste, a successivement pris, en France, la forme du boulangisme, celle de la contestation anti-dreyfusarde, celle de la poussée extrémiste des années 1920 et 1930, puis celle du poujadisme avant de constituer le « noyau dur » de l’idéologie lepéniste. La culture nationale populiste « stigmatise le pouvoir de l’« établissement », la « dictature des bavards », la dégénérescence oligarchique et bureaucratique de la démocratie représentative, les « privilèges » que se sont arrogés les bénéficiaires des nouvelles « féodalités » (bureaucratie, « énarchie », états-majors syndicaux, etc…) » 192 . L’éternelle dénonciation de ce que le F.N. nomme le « clientélisme »193, découle de cette culture politique : « C'est vrai que nous n'obéissons aux mots d'ordre d'aucune organisation […], que nous ne sommes pas mis en examen comme tant d'élus de ce [que la bande des Quatre194] appelle la République et que nous nommons « Ripoublique », car elle est le syndicat des corrompus, des pourris ou comme l'on dit maintenant des Ripoux. Celle là, nous vous la laissons, fiers de marcher « Tête haute et mains propres ». Si 5 millions de citoyens honnêtes et patriotes n'ont pas leur place dans la Ve République parce que trop honnêtes et trop patriotes, alors que le peuple change de numéro et impose la VIe République ! Une République une et indivisible, nationale par nature, sociale par vocation, fraternelle par idéal, populaire par essence. » 195 En résumé, le F.N. ne retient de l’héritage révolutionnaire que ce qui fonde le nationalisme français196. Le cœur de cette construction idéologique est le thème de la décadence décliné d’un point de vue économique, social, culturel, etc... Ce thème a pris de plus en plus d’ampleur sous l’influence des cercles politiques et de l’arrivée de Bruno MEGRET, au travers de ce qu’il nomme « les instruments du déclin »197. Déclin qu’il traduit ainsi lors d’une conférence donnée le 21 novembre 1987,«  [s]i notre nation est au bord du déclin, c'est parce qu'il y a crise culturelle, crise des valeurs » 198.

Cette dénonciation des multiples agressions qui menaceraient la nation et le peuple français participe à la formation d’une identité politique fantasmatique en ce sens où au-delà des critiques émises, le Front national, par ses revendications, se situe comme « protecteur  »des victimes dont il se proclame « membre ». Le F.N. se proclame être le parti du peuple, au sens où il en serait lui-même issu et où il serait lui-même victime des agressions qu’il dénonce. C’est ainsi à ce titre qu’il estime être à même de protéger ses compatriotes.

Pierre MILZA conclut son article, « Le Front national crée-t-il une culture politique ? », en montrant que le parti de Jean-Marie LE PEN se réclame d’un héritage idéologique appartenant à la droite radicale et que la seule singularité que l’on puisse relever serait « le souci qu’ont eu les dirigeants du Front national de constituer leur organisation en contre-société […] » 199. Le F.N. est ainsi défini comme un parti politique en marge de tout autre organisation et de la société elle-même.

Ainsi, il nous paraît essentiel de montrer que cette identité politique fantasmatique est présente dans les textes relatifs aux questions culturelles.

Notes
188.

Dans le chapitre IX intitulé « Les courants du FN. La politique de compromis nationaliste », de l’ouvrage Le Front national - Histoire et analyse, son auteur, Jean-Yves CAMUS a relevé dix familles de l'extrême-droite contemporaine : traditionalisme catholique, nationalisme-révolutionnaire, négationisme, néo-fascisme, néo-nazi Nouvelle Droite, royalisme maurrassien, légitimisme, solidarisme et pétainisme.

189.

MILZA (1994), pp.39-44

190.

Ibid, p. 41

191.

Ibid

192.

Ibid, p. 42

193.

Un paragraphe d’un rapport de Bruno GOLLNISCH rédigé à l’occasion des élections régionales de 1998 pour la région Rhône-Alpes, s’intitule « Le royaume du clientélisme ». Cf. Annexe n°7

194.

Jean-Marie LE PEN utilise fréquemment cette expression pour parler, à l’époque des faits, du P.S., du P.C., du R.P.R. et de l’U.D.F.

195.

Discours de Jean-Marie LE PEN lors des 17ème Fête des Bleu-Blanc-Rouge de 1997.

196.

TAGUIEFF (1986), p.29

197.

Il s’agit du titre d’un chapitre de l’ouvrage de Bruno MEGRET, La flamme. Les voies de la Renaissance, paru en 1990.

198.

MEGRET (1987), « Le combat culturel. La culture comme colonne vertébrale de la nation»

199.

MILZA (1994), p.44