A – L’identité de la France et son expression

1 – L’identité nationale

La question de l’identité nationale est l’un des thèmes politiques principaux de l’extrême droite. L’identité nationale du F.N. regroupe les valeurs traditionnelles du mouvement, les mœurs et les coutumes transmises par l’héritage, l’histoire commune, et les conceptions de la nation et de l’appartenance nationale.

La notion d’identité est une construction faite de représentations et de culture, mais aussi de rites, de normes et de mythes, partagés par l’ensemble de la société. Sur le plan politique, chaque groupe social possède, au-delà de son idéologie, son histoire faite de traditions, de grandes figures, de manifestations emblématiques, de symboles iconographiques, etc… Tous ces éléments participent de l’engagement et du sentiment d’appartenance. Et plus ces éléments seront présents et acceptés de tous, et plus le pouvoir politique sera symboliquement fort car ils permettront aux cadres dirigeants de faire passer leurs discours.

La revendication systématique d’une « identité nationale » constitue une orientation politique, en ce sens que le rite participe à l’affirmation d’une identité en tant que succession d’actes, à forte charge symbolique, impliquant l’engagement, la cohésion, le rassemblement et donc le sentiment d’appartenance à une communauté.

Nous souhaitons montrer que ce qui caractérise le F.N. des autres mouvements politiques, c’est que l’identité du F.N. se réduit à la notion d’identité nationale et se confond avec elle.

Dans les différents programmes nationaux, le thème de l’«identité nationale  est exprimé par quatre éléments (la famille, l’immigration, l’enseignement, l’environnement) qui expriment tous les idéaux propres au rassemblement. Cette notion reflète le refus des différents principes de liberté, d’égalité et de fraternité à l’origine de notre pacte républicain. Il s’agit ainsi d’une formule permettant de parler de la préférence nationale, de la différenciation des civilisations les unes par rapport aux autres (ou différentialisme208), sans pour autant avoir recours aux termes « race », «impérialisme », « mixité ».

L’expression « identité nationale », issue de la rhétorique de la droite la plus ancienne, fait partie intégrante celle du F.N. et constituera progressivement le cœur du discours du parti avec l’arrivée de cadres de la Nouvelle Droite. Durant les années 80, le Club de l’Horloge, où Bruno MEGRET avait puisé son inspiration avec ses amis Yvan BLOT ou Jean-Yves LE GALLOU, servit de passerelle entre la droite traditionnelle et l’extrême droite. Auteurs de nombreux livres et colloques défendant le fait de fonder l’appartenance nationale sur le droit du sang, ils furent à l’origine de la notion de « préférence nationale ». Après avoir rejoint le F.N., Bruno MEGRET fait de la question de l’identité le socle de l’appareil idéologique du F.N., et de la préférence nationale une revendication programmatique209. Dès lors, apparaissent des titres d’ouvrages et des slogans revendicatifs de l’identité française dont les plus célèbres et les plus utilisés sont « Français d’abord » et « La France aux Français »210. La « préférence nationale » fait figure de profession de foi et sera ainsi déclinée dans tous les programmes frontistes au nom de la défense du peuple. La nation doit « pour naître et s’épanouir », selon Bruno MEGRET, être constituée d’hommes et de femmes liés « par la langue, la culture, la foi, le sang et l’histoire » 211. Ainsi, la conception frontiste de l’identité nationale se reconnaît, selon nous, par deux spécificités. La première est une approche fermée de l’identité nationale qui ne pourrait survivre qu’à condition d’être fermée et exclusive.

Sur le plan culturel, cela se traduit par ce que Jean-Marie LE PEN écrit, dès 1982, dans un chapitre consacré au « redressement intellectuel et moral » : « [l]e retour de la France passe par des Français plus sensibles à ce qui et beau, à ce qui est bon, à ce qui est grand, c’est-à-dire à des Français plus réceptifs au message de la nature, de la tradition, de l’homme, de l’infini. » 212 Le Front national a ainsi une conception salvatrice de l’identité nationale dans la défense de la nation par le peuple et pour le peuple.

Bruno MEGRET, en 1993, a précisé l’approche ethniciste du F.N. lors d’une conférence213 intitulée « Civilisation contre barbarie. Lorsque le système politico médiatique affaiblit nos valeurs » :« [u]ne nation n'a de sens qu'au regard de la distinction entre nationaux et étrangers. »Le délégué général du F.N. développera ses propos lors d’une autre conférence, le 2 septembre 1997, sur le thème « Science et culture », «  la culture donne son âme à la nation et en assure l'unité. C'est par elle que le territoire devient lieu d'enracinement et le peuple communauté de destin. Par ses mythes, ses valeurs, par la mémoire qu'elle conserve du passé, elle transfigure les réalités quotidiennes pour leur donner une dimension dans l'histoire. » 214 Cette nouvelle approche de la culture par Bruno MEGRET se caractérise par deux aspects singuliers de l’identité frontistes : la confusion entre culture et territoire, et la promotion d’une culture tournée vers le passé.

La confusion entre culture et territoire illustre l’idée défendue par Jean-Marie LE PEN selon laquelle « l’identité culturelle met en forme une nation » 215 . Pour le F.N., c’est par la culture qu’un territoire deviendrait une nation, d’où la nécessité à défendre l’identité nationale.Ce qui distingue le F.N. des autres partis politiques, c’est le caractère fermé de cette conception de la culture nationale. Au-delà de la promotion et du recours à une culture tournée vers le passé, issu d’un héritage idéologique, le Front national rejette toute forme de dialogue interculturel.

Le F.N. défend une approche à la fois territoriale et patrimoniale de la culture dans le sens où un peuple a besoin d’une terre comme lieu de son implantation, de ce que le parti nomme son « enracinement ». Or défendre un territoire impliquerait, « naturellement », le combat pour et par le peuple, qui constitue la richesse d’une nation. Le Front national se proclame ainsi comme l’héritier de valeurs propres à glorifier la nation et ses membres. Comme l’a très justement expliqué Malek CHEBEL dans un chapitre consacrée à une tentative de théorisation de l’identité politique, « [r]evenir au passé, à un passé glorieux, retrouver les ressorts de sa dynamique traditionnelle […] et la réinvestir par une pratique concertée semble être la technique mise en œuvre par un nombre croissant de revendications nationales ou infra-nationales » 216 .

La seconde spécificité du Front national, par rapport aux autres partis politiques, est une approche de l’identité nationale comme projet politique, ce qui le dispenserait de définir d’autres thèmes ou d’autres revendications. C’est pourquoi, par exemple, le thème de l’environnement est subordonné à celui de la défense de l’identité nationale217. Le chapitre XIII de l’ouvrage Pour la France, est composé d’une partie consacrée à la revendication d’une « écologie nationale », et le programme de 1993 précise que « les moyens budgétaires nécessaires seront dégagés pour la restauration, l’entretien et l’embellissement du patrimoine monumental et architectural français, ainsi que pour la préservation des sites naturels » 218. Nous tenons ici à souligner que la thématique de l’écologie est mise en avant dans une logique patrimoniale.

Sur le plan culturel, nous souhaitons dès à présent distinguer deux approches : celle de l’identité nationale et de la culture nationale, ce que le F.N. appelle la « civilisation » ; et celle du F.N. de l’art et des normes esthétiques.

Notes
208.

Le différentialisme (ou «ethno-différencialisme ») est un concept, théorisé par la Nouvelle droite, qui prône la reconnaissance d'un héritage culturel propre à chaque peuple. Le différentialisme se fonde sur l'existence de différences fondamentales entre les hommes du point de vue de leur histoire, de leurs traditions, de leurs modes de vie et de leurs religions.

209.

Bruno MEGRET sera à l’origine de la création de la Revue Identité qui disparaîtra également sous son influence avec la scission du F.N. en 1999. Cette revue, dirigée par Jean-Claude BARDET et participera au développement des thèses identitaires et différentialistes du parti.

210.

Ce slogan est apparu pour la première fois sur les affiches de campagne pour les législatives de 1993.

211.

MEGRET (1996), Chapitre 3

212.

LE PEN (1982), p.168

213.

Cette conférence, dont le compte-rendu est disponible sur le site Internet de Bruno MEGRET, a eu lieu le 3 septembre 1993.

214.

Site Internet du Front national, Pages « Archives », mai 2001

215.

LE PEN (1982), p.167

216.

CHEBEL (1997), p.173

217.

Comme nous l’avons précisé p.13, le thème de l’«identité nationale »  est exprimé par quatre éléments (la famille, l’immigration, l’enseignement, l’environnement) dans les programmes du Front national.

218.

FRONT NATIONAL (1993), 3e proposition, « Valoriser le patrimoine national et les beaux-arts ».