2 – « Civilisation » ou « culture » ?219

Comme nous l’avons précédemment démontré, définir la culture n’est pas chose évidente. « Quatrième côté d’un carré diabolique »220, le terme même de « culture » est remis en question par les dirigeants du F.N. : « le glissement du terme « civilisation » au terme « culture » n'est pas indifférent. [...] La « culture » au sens actuel, n'est absolument pas le produit d'un ordre qui vise l'excellence. [...] La civilisation fait du Beau l'étalon de toute production de l'esprit et de la main, la « culture » sacralise la laideur ou le non-sens, voire le régressif ou le sordide 221 ». Ce travail de reformulation traduit, selon nous, une supériorité de l'héritage sur l'innovation, et le fait que le Front national soit essentiellement tourné vers le passé.

Par ailleurs, l’expression « quatrième côté d’un carré diabolique », qui symbolise ce que le Front national nomme « le génocide culturel », nous a permis de relever un point singulier de l’idéologie frontiste : la confusion entre jugement esthétique et jugement moral. La définition de la culture, par Jean-Marie LE PEN, dans son ouvrage, Pour la France, illustre parfaitement ce point : « [l]a culture, ce n'est pas un simple divertissement, ce n'est pas seulement les beaux-arts, c'est aussi le support symbolique […] de moeurs qui constituent une identité. » 222

La définition de la culture proposée par le Front national est d’ordre fantasmatique, en ce sens où elle constituée de l’ensemble des représentations imaginaires dans lesquelles peut se reconnaître une communauté donnée.

Dans son intervention lors du colloque « Culture, extrême droite et populismes aujourd’hui en Europe », Joël ROUCLOUX a souligné que ce qui distingue le parti frontiste des autres partis politiques, c’est son approche imaginaire de la communauté qui est selon lui « naturalisée, comparée à un organisme vivant dont il s’agit d’assurer la sauvegarde et de maintenir la « pureté » (une pureté fantasmatique). » 223

Patrimoine à défendre et civilisation à protéger : voici les deux missions revendiquées par le Front national. Les logiques esthétiques et culturelles du Front national s'appuient sur les bases du repli sur soi et du rejet de l'autre.Les thèmes porteurs et le choix des images très clairs prouvent, selon nous, que la cohésion du « corps social » se réalise dans la famille partisane dont les membres sont solidaires au-delà des conflits qui les menacent. La position de Jean-Marie LE PEN est celle d’un « chef de famille » défendant « ses enfants » contre les agressions qu’ils subissent du fait des autres communautés. Cette règle de conduite s’illustre en interne par la suprématie accordée à Jean-Marie LE PEN, à son nom et à sa famille. Dans cette perspective, la famille est considérée comme un lieu de construction de repères.

Cette figure de la famille exprime aussi, selon nous, une conception imaginaire de l’identité nationale, fondée, comme la famille, sur le sang.

Notes
219.

L’incertitude de la confrontation des termes « culture » et « civilisation » apparaît dans l’étude des civilisations primitives de E.B. Tylor, Primitive culture, dès 1876: « Le mot culture, ou civilisation, pris dans son sens ethnographique le plus étendu, désigne ce tout comprenant à la fois les sciences, les croyances, les arts, la morale, les lois, les coutumes et les autres facultés et habitudes acquises par l’homme dans l’état social ».

220.

Cette expression est définie dans l’introduction de la partie « Liberté » des 300 mesures pour la renaissance de la France : « Dans le carré diabolique de la destruction de la France menée par des politiciens de l'Etablissement, après l'extinction biologique (la dénatalité française), la submersion migratoire (l'immigration de peuplement), la disparition de la Nation (l'euromondialisme), le quatrième côté est celui du génocide culturel».

221.

FRONT NATIONAL (1993), « « Civilisation » ou « culture » ? »

222.

LE PEN (1982), p.167

223.

ROUCLOUX (Joël), « Les stratégies culturelles de l’ethnopopulisme », in Culture, extrême droite et populismes aujourd’hui en Europe, Colloque européen organisé à Bruxelles par Culture et Démocratie, mai 2003, p.21

Ce concept, Joël ROUCLOUX le définit ainsi dans son article : « Je propose de qualifier d’ethnopopulisme le phénomène qui retient notre attention : j’entends par là l’idéologie ethniciste telle qu’elle fonctionne non plus dans les cercles intellectuels et les laboratoires d’idées mais dans le cadre de partis constitués appelant à la mobilisation des masses » (p.23).