2 – Les principes d’une « politique culturelle nationale »

Dans tous les programmes et textes relatifs à la culture formulés par les cadres du parti, les principes devant guider une politique culturelle sont les suivants : « la liberté » et « la responsabilité »242. Le sens de ces deux termes et leur utilisation donne un caractère symbolique très fort et constitue une nouvelle démonstration de l’habileté avec laquelle le leader du parti maîtrise la rhétorique.

La place du F.N. est singulière dans l’espace public des identités et des acteurs politiques : sa place et son statut sont celui d’un acteur qui refuse la norme institutionnelle et qui tient un discours considéré comme interdit par les autres acteurs et les autres partis. C’est au même nom de cette spécificité que le F.N. se donne à voir comme le parti qui ose dire « tout haut ce que tout le monde pense tout bas ». Le F.N. s’est donné la mission de rendre la parole aux propos et aux dispositifs rhétoriques et institutionnels interdits dans la politique classique –en particulier en revendiquant le droit aux discours racistes et discriminant, et le droit à rechercher des formes institutionnelles fondées sur la ségrégation et sur l’exclusion–. C’est ainsi que le F.N. se donne à voir comme le parti victime des autres partis légitimes. Le principe de liberté exprime cette liberté de mouvement et d’action face aux pressions, aux manipulations et aux calomnies dont le F.N. serait la victime. Le principe de liberté fait également référence à la liberté d’expression, argument régulièrement utilisé par le F.N., aussi bien pour défendre le peuple français en disant « la vérité »243, que pour dénoncer les attaques pratiquées à son encontre. Dès 1986, le Front national communiqua sur son droit à la liberté, au travers d’une campagne d’affichage dont le slogan fut : « Le Pen dit la vérité. On le bâillonne »244. Sur le plan culturel, cette « vérité » pour laquelle se bat le Front national afin de défendre le « réel » peuple français est celle de la «culture nationale ».

Dans le domaine de la médiation culturelle, le schème politique de la liberté occupe une place particulière dans le discours du F.N. En effet, il y a une forme de contradiction, de tension, dans la rhétorique, la communication et la culture du F.N., entre son adhésion aux logiques morales les plus traditionnelles et sa revendication de transgression des interdits qui fondent la légitimité de son discours politique. La rhétorique du F.N. fonde sa dénonciation des discours de la gauche et de la droite libérale classique sur l’argument selon lequel il s’agirait de normes, de discours dominants dont le F.N. chercherait à libérer le discours politique. En fait, la revendication de la liberté culturelle par le F.N. est destinée à remettre en avant les normes classiques et les restrictions classiques de la liberté d’expression et de la liberté morale des sociétés politiques.

Le terme « responsabilité » renvoie également à de multiples notions (l’ordre, la hiérarchie, le respect, le libéralisme, etc…), et peut ainsi s’adapter à tous les sujets : le système politique, la société, la famille, l’économie, la culture.

L’utilisation systématique des termes « liberté » et « responsabilité » dans les discours frontistes permet de dénoncer le système actuel qui serait responsable du « déclin de la France », en appliquant la théorie du complot. Il s’agit également de présenter des arguments pro- libéraux prônant l'établissement d'une société caractérisée le respect du droit naturel, l'économie de marché et son corollaire l'initiative privée, etc… Ces principes, qui expriment, selon nous, le caractère autoritaire du F.N., ne définissent pas spécifiquement les politiques culturelles du parti, mais sont néanmoins déclinés dans son programme culturel. La figure de la liberté, notamment, est un thème majeur dans le discours du Front national, dans ses représentations de la culture et dans les politiques culturelles qu’il met en œuvre.

Notes
242.

Ces principes ont été cités pour la première fois dans l’ouvrage de Jean-Marie LE PEN, Pour la France, 1982, p.169.

243.

Du moins celle que le Front national souhaite propager.

244.

Cf. Annexe n°8, « Quelques exemples des campagnes d’affichage du Front national de 1986 à 1993».