2 – 1 – « La liberté : liberté de création, liberté d'expression »

Le principe de liberté, cher à Jean-Marie LE PEN, apparaît dans le champ culturel. Au nom du peuple français, le parti dénonce fréquemment les politiques culturelles françaises pratiquées jusqu’à présent. Ainsi, le F.N. estime que la relation entre la culture et le public est biaisée par l’intervention de tiers (Etat, journalistes, « financiers du show bizz », etc…) dont l’objectif serait de propager une culture bien-pensante, réservée à une élite intellectuelle minoritaire par rapport au peuple français qui lui ne trouverait aucun repère culturel propre présent dans l’espace public. Dans le programme de 1993, le Front national estime que la « culture officielle » est composée de trois catégories -la « culture de masse », la« culture branchée », et le « folklore »- qui expriment le mythe de la culture populaire opposée à l’élitisme.

La première, la « culture de masse », serait « constitué[e] par le magma des jeux télévisés, des spectacles à grand renfort publicitaire tous politiquement corrects, que distribuent au peuple, pour le tenir abêti et hébété, soumis et assoupi, les financiers du show-biz aux ordres des lobbies » 245 . La seconde catégorie serait une « culture propagée par les classes dirigeantes, fascinées par le nouveau, le périssable par essence […] et dont les dilections culturelles sont surtout prétexte à se faire connaître dans la compétition qui les opposent à leurs rivaux ».246 Enfin, le F.N. parle d’une forme de « culture muséable qui rationalise la mémoire collective, et gère le passé dans le but de réduire culture nationale et cultures régionales à l’état de stock folklorique inoffensif, participant du « patrimoine de l’humanité » » 247 .

Dans son ouvrage Mythologies, Roland BARTHES a élaboré une réflexion sur le travail de déformation du langage ordinaire en montrant que pour que celui-ci devienne mythe, les expressions constituées (mots, locutions, métaphores) sont traitées comme les matériaux de base d’un autre propos, d’un « métalangage » ; qui, de fait, se trouve chargé de significations multiples.

Cette appropriation du mythe de la culture populaire opposée à l’élitisme, apparaît également dans le programme publié à l’occasion des législatives de 1997248, dans lequel le F.N. fait référence à une culture « déracinée et intellectualiste dans laquelle les français ne se reconnaissent plus ». En matière culturelle, le F.N. utilise fréquemment l’adjectif « populaire » comme un élément d’opposition à la culture « élitiste ». La régularité des critiques émises à l’encontre du parti depuis sa création aura été formatrice quant à la faculté d’anticipation sur celles-ci, en se servant des mots pour déjouer les « attaques ».

Le terme « populaire » témoigne de la tentative frontiste de contrecarrer l’utilisation du terme « populiste » émanant des critiques anti-F.N. Jean-Marie LE PEN, pour faire face aux nombreuses attaques qui le présentent comme le chef d’un parti populiste, va jouer de cette ambiguïté en se prévalant d’une culture populaire, proche du peuple. À titre d’exemple, le chef du parti estime que les théâtres et les lieux destinés aux arts du spectacle ne seraient fréquentés que par une faible partie de la population. « S’il veut regagner les faveurs du public, le théâtre devra, plutôt que de se perdre dans des recherches expérimentales souvent absconses, retrouver sa vocation populaire » 249 . Ces lieux de diffusion auraient, selon lui, totalement oublié les attentes du public, ne s’adressant qu’à un public d’érudits pour lesquels les traditions populaires et le vocable même de « populaire » auraient une connotation péjorative. Or pour Jean-Marie LE PEN et les siens, le peuple constitue l’essence même de la nation.

L’utilisation du terme « populaire » permet, dans ce contexte, une distanciation entre une « culture officielle » imposée par les acteurs du pouvoir, et la « culture populaire » qui est destinée au « petit peuple » que le F.N. prétend représenter.

Ainsi, l’utilisation du terme « populaire » confirme la volonté du parti de se rapprocher du peuple et de parler en son nom. Opposer la culture populaire à la culture élitiste est aussi une critique à l’égard des politiques culturelles mises en œuvre en particulier dans les années 80 sous le Ministère de Jack LANG, dont l’un des principaux objectifs étaient de favoriser le lien social par la démocratisation de la culture. Cela s’est notamment traduit par l’instauration de manifestations telles que la Fête de la musique, par la politique des grands travaux, et par l’augmentation de subventions accordées à des disciplines jusqu’alors peu reconnues comme la bande dessinée, les musiques amplifiées, le cirque, les arts urbains250. Or il s’agit-là de disciplines artistiques fortement critiquées, voire rejetées par le F.N. « Si demain, le grand groupe musical doit être Nique ta mère (NTM) et si le Louvre doit intégrer des collections de tags, nous serons entrés dans le monde haïssable de Big Brother, le monde tiède et gris de la pensée unique » 251 . Pour Jean-Marie LE PEN, les arts urbains ne sont que le reflet d’un « hégémonisme américain » fortement dénoncé lors de l’Université d’été du F.N. en 1996. De plus leur reconnaissance par le Ministère de la culture traduit la volonté de mettre en avant l’universalisme de la culture, ce que le F.N. appelle le « cosmopolitisme ».

Aux yeux du Front national, la défense du patrimoine correspond à la fin du cosmopolitisme. Le peuple français ne se référerait qu’à des modes anglo-américaines252 (musicales, esthétiques, picturales) et ignorerait la création française et ses artistes. « Cette liberté, qui a si souvent souffert des « ciseaux des censeurs de gauche » sans même parler des très officiels « inspecteurs de la création artistique » 253 , doit être pleinement restaurée et bénéficier à tous ceux qui ont quelque chose à dire» 254 . Or, la caractéristique principale de la « culture officielle » serait de faire travailler le cercle des « amis ». Selon le parti d’extrême droite, la culture serait monopolisée par les partis de gauche et leurs « artistes officiels » qui ne reflèteraient qu’un « parisianisme ambiant ». Ce cercle fermé des acteurs de la médiation culturelle partagerait un langage commun destiné à « isoler le peuple français de la création artistique». Le F.N. dénonce avec beaucoup d’insistance la création contemporaine comme nous l’avons montré dans la précédente partie.

Sous le principe de liberté cher au parti se cache un libéralisme économique dont l’objectif est de « privatiser » le secteur culturel tout en contrôlant les œuvres dans un souci de respect des valeurs nationales. Ce projet revendiqué par le parti exprime une contradiction entre libéralisme et interventionnisme. Par ailleurs, le Front national, comme l’ensemble des partis politiques de droite, confond, dans ses programmes mais aussi dans ses discours, la liberté et le libéralisme.

Le discours du F.N. est conforme au discours libéral classique : comme tous les mouvements libéraux, le parti de Jean-Marie LE PEN est hostile à toute réglementation et à toute intervention de l’Etat dans la vie économique et dans la vie financière. En ce sens, le F.N. adhère aux logiques traditionnelles de la droite libérale, ce qui, parfois, entre contradiction avec les logiques autoritaires qu’il peut inscrire dans d’autres de ses discours et de ses stratégies de communication. C’est le libéralisme de son discours économique qui vient légitimer le F.N. dans sa place au sein de l’espace public des acteurs et des identités politiques.

Ainsi, sous couvert d’un discours prônant la liberté de création et d’expression, le F.N. défend une libéralisation généralisée du secteur culturel.

« Libérons la culture et la création artistique des entraves de l’Etat, des commis et des commissions. Cessons de transformer les artistes en assistés ou fonctionnaires. Sortons des routines technocratiques et directoriales. Faisons sauter les verrous qui, des syndicats en groupes de pression, maintiennent des situations acquises et empêchent toute véritable liberté de création, freinent et alourdissent » 255 . Deux points intéressants sont à distinguer ici : l’héritage national populiste et l’approche libérale que nous évoquions ci-dessus. Ces critiques participent à la diffusion d’une idéologie tendant à prouver que le F.N. serait susceptible de rendre au peuple sa liberté d’expression, ce qui sous-entend que les partis de pouvoir la lui auraient supprimée. Il s’agit-là d’un argument propre à renforcer l’idée du complot. De plus, le F.N. tend à démontrer que les réglementations appliquées par les acteurs du champ culturel seraient à l’origine de la promotion d’une culture officielle dictée par l’Etat.

Malgré ces multiples dénonciations, le F.N. propose à son tour, en application du principe de liberté, l'établissement de trois critères auxquels les œuvres artistiques devront répondre : « Création enracinée dans notre identité et nos valeurs », « Création accessible à tous et non pas réservée à une pseudo élite », et « Création de devenir et non pas de renouvellement »256.

Seules les créations répondant à un ou plusieurs des critères suivants, pourront bénéficier de subventions publiques au titre de l'aide à la création. Cités pour la première fois au sein du programme national de 1993, 300 mesures pour la renaissance de la France, ces critères sont issus d’une réflexion de Bruno MEGRET, présentée six ans auparavant lors d’une conférence intitulée « Le combat culturel. La culture comme colonne vertébrale de la nation »257. Ce dernier estimait que les œuvres susceptibles d’obtenir l’aide du gouvernement frontiste (si celui-ci venait à prendre le pouvoir) devaient être des « créations non-destructrices de notre identité et de nos valeurs», des « créations accessibles à tous et non pas réservée à une pseudo élite » et enfin des « créations de devenir et de renouvellement qui ne soient pas une éternelle révérence à ce qui se faisait dans le passé».

Nous n’avons relevé qu’un seul changement entre les critères présentés en 1987 et ceux de 1993 : le remplacement de l’expression « créations non-destructrices » par celle de « création enracinée ». Le terme « enraciné » permet de symboliser le fait que le peuple français exprime ses origines et son identité dans son histoire et dans ses traditions.

Notes
245.

FRONT NATIONAL (1993), « Culture de masse », « Culture branchée », « Folklore »

246.

Ibid

247.

Ibid

248.

FRONT NATIONAL (1997)

249.

FRONT NATIONAL (1993), 10e proposition, « Rendre possible un nouveau printemps pour le théâtre français».

250.

Sous l’expression « arts urbains», nous entendons regrouper aussi bien les arts graphiques (tags, graffitis) que la musique (hip hop, rap, R’n’B).

251.

DELY, Libération, 3 juin 1996 Expliquer que c’est un texte issu du discours de LE PEN et repris dans Libé.

252.

Le courant néo-droitier qui intègre le parti à la fin des années 1980, est à l’origine de la rupture entre le F.N. et les Etats-Unis au nom de la défense et de la préservation de l’identité nationale. La prise de position pro-irakienne du parti au début de la Guerre du Golfe en 1990 renforcera définitivement cette rupture.

253.

Par l’emploi de ce terme, le F.N. désigne les cadres culturels de l’Etat.

254.

LE PEN (1984), p.169

255.

MEGRET (1986), p.119

256.

FRONT NATIONAL (1987), p.115

257.

Conférence du 21 novembre 1987