1 – Désir et engagement politique

Comme tout parti politique, le F.N., dans sa culture et dans son identité, comporte des expressions des formes et des logiques spécifiques d’engagement de ses militants et de ses adhérents.

La médiation esthétique exprime une forme d’engagement. De l’émotion et de la reconnaissance d’un idéal commun, peut naître l’engagement. La représentation de valeurs communes au travers d’œuvres artistiques peut provoquer un effet de groupe. Tout le travail symbolique autour d’« icônes » frontistes (la flamme, les couleurs du drapeau national, Jeanne d’Arc, etc…) témoigne de cette effervescence. Les représentations esthétiques frontistes servent de référent aux membres du parti. Comme l’ont souligné Nonna MAYER et Pascal PERRINEAU, «[l]a conversion au F.N. révèle en fait un paradoxe : elle souligne le caractère sectaire de l’engagement militant qui sert à renforcer la cohésion minoritaire tout en aidant l’individu à se situer et dans le groupe et par rapport au monde extérieur.» 274 Le F.N. va « former » peu à peu ses militants en diffusant, par opposition à la « pensée unique » dénoncée par le parti, une pensée commune dans laquelle tout acteur se reconnaît comme un individu faisant partie d’une nouvelle société.

À la différence de la « pensée unique » qui peut être définie comme un regroupement d’idées considérées comme majoritaires en France et dans l'Europe communautaire, et comme une domination d’idéologies qui imposent certains choix de société présentés comme seuls légitimes, la pensée commune développe des idées que le F.N. va dénoncer comme minoritaires. L’engagement des membres du parti résulte, en partie, de cette reconnaissance de la pensée commune, en les fédérant autour de valeurs communes qu’il convient de protéger.

Le développement d’une pensée commune a été expliqué par certains universitaires275 qui ont avancé le fait que la progression constante du F.N. en France serait le résultat d’une prise de conscience de la population de son aspiration à exister culturellement avec ses codes, ses rites, ses symboles, ses droits et ses terres, son langage. Cette idée se traduit par l’utilisation constante, dans la communication frontiste, d’un vocabulaire spécifique et de familles de mots issus ou proches du nationalisme, et d’une symbolique qui renforce l’idée d’une communauté.

Comme l’a montré Ernst CASSIRER, dans le troisième volume de Philosophie des formes symboliques, l’homme ne se trouve pas directement face à la réalité parce qu’il est entouré de formes symboliques constituées par les mythes, les rites, le langage, les formes artistiques : « [c]omme toutes les formes symboliques, l’art trouve ses racines dans l’expression. Même dans sa forme contemporaine, aussi objectif qu’il puisse paraître, l’art ne cesse jamais d’être un phénomène expressif » 276 . La démarche entreprise par le F.N. d’une linguistique et d’une symbolique axées sur la nation est à cette image. Bruno MEGRET n’hésite pas dans son projet de « combat culturel », à présenter la culture comme la « colonne vertébrale de la nation. »277 Le numéro deux du parti estime que la culture confère au peuple son identité en faisant des citoyens d’une même nation une authentique communauté.

Bernard LAMIZET a développé l’idée selon laquelle « la sociabilité s’instaure au moment même où le désir est refoulé par le sujet qui en est porteur et qui, dès lors, trace une ligne de séparation irréductible entre la logique du désir et celle de la loi : entre la logique de l’identité et celle de l’appartenance » 278 . Or dans le cadre des politiques culturelles du F.N., la mise en œuvre de cette expression de l’engagement par la revendication d’une identité imaginaire, celle d’une communauté regroupée par et autour de l’identité nationale, exprime la confusion entre identité et appartenance. L’identification dont font part les membres de la famille frontiste, traduit une forme de « suprématie » de l’identité collective sur l’identité individuelle. L’identification, selon Malek CHEBEL, est un « [p]rocessus par lequel l’individu arrive à acquérir une identité» 279. Ainsi, les politiques culturelles du F.N. ne permettent pas la séparation entre la logique de désir et celle de la loi : elles ne s’attachent qu’à défendre une identité collective définie par une confusion entre « civilisation » et « culture », et par des fantasmes de persécution.

Notes
274.

MAYER ET PERRINEAU (1996), p.122

275.

Notamment Erwan LECOEUR, Un néo-populisme à la française, 30 ans avec le Front national, Paris, La Découverte, 2003 ; et Alain BIHR, L’actualité d’un anarchiste, La pensée d’extrême droite et la crise de la modernité, Lausanne, Editions Page deux, Collection « Cahiers libres », 1998

276.

CASSIRER (1972), p.229

277.

Site Internet du Front national, Pages « Archives », mai 2001

278.

LAMIZET (1998), p.17

279.

CHEBEL (1997), p.25