1 – 3 – Le complot des médias

« Caste politico-médiatique »307, « médiacratie »308, telles sont les termes et expressions utilisés par le F.N. pour dénoncer le complot pratiqué par les médias à l’encontre du F.N. et ainsi, selon le F.N, à l’encontre du peuple. Le Front national va créer son propre vocabulaire pour dénoncer l’idée d’un quatrième pouvoir détenu par les médias. Nous avons rappelé précédemment que la rhétorique frontiste se fonde sur une logique selon laquelle « les mots sont des armes » 309 . Ainsi, le terme « médiacratie », par son lien phonique avec le terme « médiocrité », participe à la diffusion d’un message fortement connoté et illustre l’utilisation d’un lexique néologique propre au parti.

Le complot des médias se décline en deux points : la censure pratiquée par les médias à l’encontre du F.N. qui serait absent de la scène médiatique, et l’idée d’un quatrième pouvoir.

Le Front national estime qu’il serait victime d’une censure médiatique qui imposerait une pensée unique et empêcherait le parti de s’exprimer publiquement auprès d’une large audience. « Non, mes amis, rien ne nous a arrêté et rien ne nous arrêtera plus. […] Ni notre éviction médiatique proprement scandaleuse, et qui fait honte à un pays prétendument démocratique. » 310 Cette interdiction de représentation sur la scène médiatique, telle qu’elle est dénoncée par le parti, serait imposée par les censeurs de ce que Jean-Marie LE PEN nomme « l’établissement »311. L’utilisation de ce terme donne à comprendre qu’il s’agit d’un clan qui, pour le F.N., correspondrait à « quatrième pouvoir. […] Exerçant, par leur force de suggestion sur les individus, une grande puissance d’orientation sur l’opinion publique, le pouvoir médiatique pèse sur le fonctionnement des trois autres pouvoirs [législatif, exécutif, judicaire]» 312 . Cette expression illustre l’idée d’une collusion des médias avec les partis politiques et les grandes puissances économiques et financières. « Le pouvoir médiatique modifie, dans le sens des intérêts de ses commanditaires, la donne politique du pays, en empêchant les citoyens de disposer des informations dans leur intégralité, en occultant certaines données pour en surmédiatiser d’autres, en diffamant sans contrepouvoir réel. » 313 Ce commentaire fait apparaître, selon nous, la volonté de contrecarrer la représentation du F.N. faite par les médias, notamment par l’utilisation constante d’images d’archives rappelant les écarts verbaux de certains dirigeants du parti314. Le F.N. souhaite ici dénoncer le traitement de l’information qui serait exercé à son encontre, ce que nous montrerons dans la troisième partie dans l’analyse des politiques culturelles mises en œuvre dans les villes d’Orange, de Toulon, de Vitrolles et de Marignane.

Ce « quatrième pouvoir » aboutirait à ce que tant que « les libertés d’opinion et d’expression seront des mots creux, la démocratie demeurera d’apparence » 315 . Par cette collusion, les citoyens français seraient ainsi privés de leurs libertés individuelles dans une démocratie façonnée par les élites. Bruno MEGRET développera ce point de vue, lors d’une conférence donnée le 3 septembre 1993, en précisant que «  le discours et l'action des responsables politiques et médiatiques […] conduisent à détruire [...] les principales conditions de survie et d'épanouissement d'une civilisation » 316 . En d’autres termes, les médias participeraient au déclin de la nation dénoncé par le F.N.

Sur le plan culturel, le F.N. explique que « [c]e qui va dans le sens du pouvoir est aidé, encouragé, médiatisé, ce qui ne plaît pas est occulté, voire abandonné dans l’attente de sa disparition » 317 . La « médiacratie » participerait ainsi à la diffusion des formes culturelles imposées par la pensée unique, en développant ainsi une « culture officielle » qui irait à l’encontre des revendications émises, selon le F.N., par le peuple. Cette « culture officielle » est une nouvelle composante de la logique du complot en ce sens où elle imposerait « la généralisation du cosmopolitisme pour faire du citoyen un homme aux semelles de vent, un vagabond » 318 . Le terme « vagabond » renvoie à des notions opposées à celle de « communauté » et de « civilisation » : la solitude, l’abandon, la pauvreté319. Aussi, le F.N. convoque un imaginaire de la peur, au travers de cette dernière critique.

Notes
307.

Discours de Jean-Marie LE PEN lors des 17ème Fête des Bleu-Blanc-Rouge (1997)

308.

FRONT NATIONAL (1993), « Le rôle du politique »

309.

Propos issu d’un rapport de l'Institut de Formation des Cadres, cités par Edwy PLENEL, in Le Monde, 10 mai 1990

310.

Discours de Jean-Marie LE PEN lors des 17ème Fête des Bleu-Blanc-Rouge (1997)

311.

L’utilisation de ce terme exprime la volonté du F.N. de se réapproprier un terme français, utilisé par les anglais sous le vocable « establishment », désignant la société légitime.

312.

FRONT NATIONAL (1993), Partie INSTITUTIONS, « Restaurer l’Etat », « Une oligarchie totalitaire »

313.

Ibid

314.

Cf. Simone BONNAFOUS, « Jean-Marie LE PEN et les médias », in Fabrice d’ALMEIDA (dir.), La question médiatique. Les enjeux historiques et sociaux de la critique des médias, Paris, Seli Arslan, 1997, pp.101-113.

315.

Ibid

316.

Cette citation est issue d’une conférence de Bruno MEGRET du 3 septembre 1993, intitulée « Civilisation contre barbarie. Lorsque le système politico-médiatique affaiblit nos valeurs », in Site Internet de Bruno MEGRET, Pages « Archives ».

317.

FRONT NATIONAL (1993), « La rue de Valois contre le Beau, le Bien, le Vrai»

318.

LE PEN (1982), p.166.

L’expression « l’homme aux semelles de vent » était le surnom que Verlaine donnait à Rimbaud.

319.

Le terme « pauvreté » est à interpréter par rapport à la richesse du patrimoine de la nation qui est glorifiée par le F.N.