La peur, tout comme le complot, est la forme négative de l’imaginaire politique.
Dans « une nouvelle cartographie de la peur » dans les cités modernes, Anne CAUQUELIN constate que celle-ci reste liée « aux limites et à leur dépassement ». La transgression de ces limites ouvre sur le danger et « l’imagination de ces individualités qui, de l’autre côté, s’organisent en ennemis, avec leurs mœurs, leurs langues, leurs moyens techniques d’effraction –toujours surévalués » 320. La peur d’être agressé par des ennemis contribue à souder les membres du parti en une communauté qui repose elle-même sur de l’imaginaire.
Nous souhaitons montrer qu’il existe une dialectique entre la rhétorique politique de l’identité du F.N. fondée sur la peur et le développement d’une stratégie culturelle de la peur. Dans sa préface à l’ouvrage de Corey ROBIN321, La peur, Histoire d’une idée politique, paru en France en 2006, Philippe BRAUD émet l’analyse suivante : « […] la peur est […] un instrument de mobilisation sociale, comme on le voit clairement à l’origine des plus puissants mouvements protestataires et des crispations contre-révolutionnaires, mais aussi à l’origine des révolutions elles-mêmes où, paradoxalement, elle est alors associée à la ferveur enthousiaste des foules » 322 . Dans le cadre du F.N., cette stratégie participe de ce que nous évoquions précédemment323, à savoir de la constitution d’une « contre-société » qui développerait des propositions phobiques tels que la fermeture des frontières, le protectionnisme, la ségrégation, le rejet des réfugiés et immigrés. Bruno MEGRET résumera cette position dès 1987 : « [l]es immigrés du tiers-monde compromettent à terme notre identité, c’est-à-dire notre culture » 324 . Il s’agit là d’une forme imaginaire de l’identité qui n’existe que parce qu’elle est menacée.Nous estimons ainsi qu’il convient de parler de « contre-société » au sens où le F.N. fonde son identité sur le fantasme obsessionnelle de menaces dont il serait la victime.
Nous pouvons donner l’exemple des formes de censure qui pourraient être pratiquées à l’encontre des cultures dites « étrangères à la nation » : censure des auteurs et artistes étrangers, censure des œuvres étrangères, rejet des subventions, etc…325 Aussi, le discours frontiste axé sur la peur se décline en deux facteurs : la menace et l’insécurité.
CAUQUELIN (1979)
Influencés par MONTESQUIEU, HOBBES, ARENDT, TOQUEVILLE, les travaux de ROBIN sont parmi les plus récents et les plus pertinents sur la thématique de la peur en politique. Présenter sa méthode et ses travaux.
ROBIN (2006), p.123
Cf. p.11
MEGRET, in LE PEN (1987), P.103
Nous développerons ces exemples dans notre troisième partie consacrée aux politiques culturelles du F.N.