2 – 1 – La menace

Idéologiquement la menace que dénonce le Front national est bipolaire, intérieure et extérieure. De plus, dans l’imaginaire frontiste, le monde est divisé en plusieurs civilisations ayant chacune sa propre culture, son propre système de valeurs, sa propre identité, sa propre histoire qui seraient incompatibles les unes avec les autres. « [I] l ne peut pas y avoir de civilisation mondiale [car] les civilisations, par nature, ne peuvent être que plurielles» 326 .

C’est dans cette logique que le F.N. dénonce la « culture cosmopolite », thème obsessionnel de Jean-Marie LE PEN, qui aboutirait à une forme d’« avilissement » de la politique culturelle par la profusion de « produits artistiques aussi uniformisés et calibrés que les denrées d’un supermarché » 327 . Les productions artistiques actuelles ne reflèteraient plus l’exception culturelle française et ne seraient ainsi que des instruments de diffusion d’une idéologie mondialiste. Par ailleurs, les politiques culturelles mises en œuvre par les différents gouvernements français ne correspondraient qu’à des produits, des marchandises destinées à une industrialisation internationale. L’idée d’une uniformisation, soutenue voir même amplifiée par le terme « calibré », renforce cette approche critique de la culture comme marchandise. Cette critique de la standardisation émise par le F.N. est en contradiction avec d’autres positions du parti, notamment lorsqu’il précise dans son programme de 1993 que « [l]a promotion de la chanson, de la musique, de la littérature et, d’une façon générale, de la culture française constituera la priorité de l’audiovisuel public » 328 . Cette priorité ainsi donnée à la culture française sur les chaînes publiques exprime une nouvelle fois le refus de tout dialogue interculturel.

Au-delà des ces différentes formes de menace qui frapperaient la nation et le peuple et sous l’influence de complots qui seraient pratiqués à son encontre, le F.N. dénonce une autre forme de menace qui concernerait particulièrement ses adhérents et ses militants.

Ainsi, d’après l’étude sociologique menée par Daniel BIZEUL auprès de militants du Front national329, l’inquiétude et l’imaginaire du danger trouvent leurs origines non seulement dans les discours du président du parti autour de la thématique de la menace extérieure, mais aussi dans des agressions, verbales ou non, dont ils seraient les victimes du fait de leur appartenance au F.N. Ils ont ainsi le sentiment d’un caractère sacrificiel de leur engagement au F.N. Daniel BIZEUL y voit également un processus d’enfermement partisan. « [Les militants finissent par établir des liens], de façon durable ou provisoire, dans le cercle retreint de ceux qui partagent les mêmes principes et les mêmes goûts, leur donnant l’image d’une élite visionnaire, prête au sacrifice de soi pour sauver la civilisation » 330 . L’idée d’une forme de « sacrifice » exprime, selon nous, le fanatisme des partisans et des militants frontistes leur confère une identité fantasmatique collective, celle d’une communauté qui prime sur toutes les autres, en ce sens où elle est la seule à avoir conscience de l’« impératif du renouveau » prôné par ses dirigeants. Cela participe à l’expression de l’imaginaire du politique du F.N.

Notes
326.

MEGRET, « Civilisation contre barbarie. Lorsque le système politico-médiatique affaiblit nos valeurs », Conférence du 3 septembre 1993.

327.

LE PEN (1982), p.165

328.

FRONT NATIONAL (1993), 14e proposition « Encourager un cinéma et un audiovisuel français de qualité»

329.

BIZEUL (2003)

330.

BIZEUL, Op. Citée p.257