A – L’élaboration du discours du Front national

La sensibilisation du F.N. aux questions culturelles date des premiers mandats électoraux et des réflexions des dirigeants du parti qui ont compris que la culture pourrait être une « arme ». Le livre programme officiel du parti, Pour la France 346, est le premier texte dans lequel le F.N. consacre un chapitre à la culture. Le XIIIe chapitre, intitulé : « La réforme intellectuelle et morale », résume en quatorze pages, les théories frontistes sur des questions culturelles aussi diverses que le patrimoine, les valeurs de la France, le mécénat, etc… Rédigé sous forme d’état des lieux, ce texte ne propose pas de véritables changements ni même de suggestions quant à la conception, à l’élaboration et à l’évaluation des politiques culturelles françaises.

Dans cet ouvrage, Jean-Marie LE PEN estime que « la culture ce n'est pas un simple divertissement, ce n'est pas seulement les Beaux-arts, c'est aussi le support symbolique d'attitudes, de règles, de représentations collectives, de symboles, de signes, de mœurs qui constituent une identité. Bref, une culture est l'ensemble des façons de penser d'agir, de sentir qui sous-entendent le système des valeurs d'un peuple et qui font son identité » 347 . Le F.N. se distingue par l’association entre culture et morale, et par la référence à des règles, des mœurs qui se distinguent des autres discours politiques. Aussi, ce qui est propre au F.N., c’est une approche fantasmatique de l’identité, point d'ancrage de l'idéologie extrémiste. En ce sens, les politiques culturelles du F.N. s’inscrivent dans une logique imaginaire, fantasmatique, de l’identité, que le parti prend ou fait prendre pour symbolique.

Alain BIHR dans son ouvrage L’actualité d’un anarchiste, La pensée d’extrême droite et la crise de la modernité 348, a développé le concept de triade de l’idéologie frontiste qui serait notamment composée d’une forme de « fétichisme de l’identité collective ». Le Front national utilise le terme « identité » comme un objet lui servant à légitimer son action en faveur du peuple. En adoptant la posture de défenseur de cette identité fictive, le Front national souhaite, selon nous, s’approprier une forme de pouvoir qui est elle-même fictive.

Ainsi, non seulement le F.N. ne perçoit la culture que comme une composante de cette identité collective fantasmatique, mais il estime, comme nous l’avons relevé ci-dessus, que la culture doit répondre aux valeurs qui fondent l’identité culturelle d’un peuple.

Dix ans après la création du parti, la culture n’est encore que rarement citée dans les discours et les programmes du parti et peu de cadres dirigeants y accordent une attention particulière.

Bruno MEGRET349, par le biais de clubs d’influences tels que la Nouvelle droite, s’est intéressé à ces questions dès la fin des années 70. En 1987 dans l’ouvrage collectif Une âme pour la France 350, il présente sa réflexion dans le chapitre « Débat culturel et combat politique ». En une vingtaine de pages, il développe une amorce de programme officiel, tout au moins une réflexion qui permettra, en partie, la rédaction des 300 mesures pour la renaissance de la France : l'alternative nationale 351 . Ce programme sera celui des présidentielles de 1995 mais aussi celui sur lequel se fonderont les campagnes des élections municipales.

L’accès aux responsabilités locales marque le véritable investissement du F.N. dans le champ culturel. Les victoires électorales de 1995 dans les villes de Vitrolles, Toulon, Orange et Marignane, vont ainsi permettre au F.N., pour la première fois depuis la création du parti, d’appliquer localement son programme. Un des mots thèmes du F.N. depuis sa création est de se présenter en victime du système politique français dont il dénonçait aussi bien les hommes et que les actes. Il pouvait habilement justifier cette stratégie dans la mesure où lui-même avait été « interdit », selon ses dires, de mandats électoraux significatifs : « [depuis les résultats obtenus aux élections municipales de 1984], nous n'avons cessé de progresser, rencontrant au fur et à mesure une résistance de plus en plus injuste, de plus en plus haineuse de la part de ceux qui occupaient des places et des responsabilités qu'ils étaient, pourtant, de plus en plus incapables d'assumer. » 352

Les actions culturelles menées dans les villes administrées par le Front national auront abouti au déploiement des thèses fondamentales du F.N. : la préférence nationale, la théorie du complot, le « retour » de la parole au peuple, etc…

Notes
346.

LE PEN (1982), pp. 163-177

347.

Ibid, p.167

348.

BIHR (1998)

349.

Nous souhaitons rappeler que Bruno MEGRET ne fait plus parti du F.N. depuis 1999 (Cf. Avant-propos). Pourtant la mouvance qu’il a représenté au sein du F.N. a eu, selon nous, une importance majeure sur les programme culturel du parti et que c’est à ce titre que nous avons décidé d’analyser ses écrits.

350.

FRONT NATIONAL (1987), pp. 99-118

351.

FRONT NATIONAL (1993)

352.

Discours de Jean-Marie LE PEN lors de la 17ème Fête des Bleu-Blanc-Rouge, 1997