2 – La « guerre culturelle » ou le « combat culturel »

Cette « guerre culturelle » ou « combat culturel », Bruno MEGRET la justifie par le fait que la culture serait « soumise à des agressions considérables [...] que la politique nous commande de combattre » 371 . C’est pourquoi, selon lui, la culture constitue, « en réalité le plus formidable des enjeux politiques » 372 . Le fantasme de persécution, que nous avons analysé dans notre seconde partie, est présent ici à travers l’affirmation d’un combat pour la « renaissance de la France ». Ainsi, Bruno MEGRET développe l’idée d’un enjeu culturel en citant une formule de Jack LANG : « Je veux que le Ministère de la culture contamine l'Etat et l'ensemble du pays » 373 . Ainsi, dès 1987 et alors qu’il vient à peine de rejoindre le F.N., Bruno MEGRET374 se démarque de Jean-Marie LE PEN, en se prononçant pour la mise en œuvre d’un programme culturel frontiste exprimant un « combat culturel » ou une « guerre culturelle ». Ces expressions apparaîtront lors d’une conférence que Bruno MEGRET donnera le 21 novembre 1987 :

‘« [d]evant cette dégénérescence de notre culture, il faut accepter de mener le combat culturel » ;’ ‘« [p]our la droite institutionnelle, le combat politique et ses enjeux immédiats prennent le pas sur la guerre culturelle » 375 .’

Elles apparaîtront ensuite dans l’article « Débat culturel et combat politique », lorsque Bruno MEGRET appuiera ses propos par une citation d’Henri GOBARD376 selon lequel « la guerre culturelle paralyse ».

Nous tenons à préciser que nous n’avons pas relevé les expressions « combat culturel » et « guerre culturelle » dans la partie « Identité » du programme de 1993 du F.N., dans laquelle apparaissent les questions culturelles. Les événements électoraux des années qui vont suivre, à savoir plus particulièrement les élections municipales de 1995 –et de 1997 pour la ville de Vitrolles- et les élections régionales de 1998, seront à l’origine de nouvelles utilisations de ces termes, notamment dans deux textes spécifiques. Le premier de ces textes est un rapport rédigé par Bruno GOLLNISCH pour les élections régionales de 1998 de la région Rhône-Alpes, intitulé « Culture et Patrimoine. Promouvoir le Beau en défendant nos racines ». Dans la seconde partie de ce rapport, Bruno GOLLNISCH consacre un paragraphe à la « guerre culturelle » qui consisterait à « passer à la contre-offensive culturelle » 377 . Cette « contre-offensive » à laquelle se prépare le F.N. consiste dans la mise en œuvre de ce que Pierre MILZA nomme, dans son article « Le Front national crée-t-il une culture politique ? », une « contre-société »378.

Le second texte est le compte-rendu d’un entretien téléphonique du 7 mai 1998, accordé à Jean-Marc ADOLPHE et Philippe BRZESANSKI, journalistes à Mouvement 379 , dans lequel Bruno MEGRET explique « s’agissant de l’action politique, je la conçois comme un combat. Si la morale, c’est l’opposition entre le bien et le mal ; l’esthétique, l’opposition entre le beau et le laid ; la politique, c’est l’opposition entre les amis et les ennemis. Il est vrai que, dans ce combat, la dimension culturelle est considérable, parce que le combat politique ne se pratique pas par la force physique, mais se mène par la force des idées ». Il poursuivra ce point de vue par l’affirmation du lien intrinsèque entre le culturel et l’idéologique : « j’adhère à cette analyse de Gramsci 380 , selon laquelle la victoire culturelle précède la victoire politique» 381 . Le corpus idéologique auquel adhère une certaine frange du F.N. témoigne du fait que la culture est devenue, dans les années 90, un enjeu majeur dans l'affrontement qui opposerait les « valeurs identitaires » aux valeurs « cosmopolites ». « Je pense que la grande querelle qui vaille désormais, c’est la querelle des valeurs identitaires contre les entreprises mondialistes de dissolution, de mélange, etc… » 382. Cette querelle implique un combat face aux « ennemis » du peuple qui seraient coupables de la décadence, sous de multiples formes, de la nation.

D’un point de vue linguistique, l’utilisation des termes « guerre » et « combat » exprime la vision militaire que le F.N. accorde à cette « contre-société » au travers de règles et de normes spécifiques. Ces termes participent à la formation d’une identité politique paranoïaque en ce sens où ils influent sur l’imaginaire par la mobilisation de plusieurs composantes propres au F.N., telles que le complot et la peur. La « guerre culturelle » ou le « combat culturel » se justifient, selon le F.N., pour répondre aux agressions qui menaceraient la nation. Selon Bruno MEGRET, dans son article « Débat culturel et combat politique », il s’agirait principalement de quatre agressions : « l’effondrement démographique de la France », « l’immigration », « la menace culturelle américaine », et « la gauche et le marxisme »383. Le F.N. va ainsi développer son programme autour de ces quatre « ennemis » du peuple.

Notes
371.

MEGRET, in LE PEN (1987), p.102

372.

Ibid

373.

MEGRET, in FRONT NATIONAL (1987), p.114.

Lors d’un entretien accordé par Jack LANG à Frédéric EDELMANN et Colette GODARD, journalistes au journal Le Monde, le nouveau Ministre de la Culture (l’article est paru le 5 septembre 1981) a présenté son premier objectif : « Je veux que ce ministère s’épanouisse, qu’il abuse de son prestige –car, paradoxalement, il est prestigieux autant que misérable- qu’il contamine l’Etat, l’ensemble du pays ». Cf. Annexe n°10

374.

Bruno MEGRET sera nommé Délégué national du F.N. en 1988, c'est-à-dire un an après avoir repris la formule accréditée à Jack LANG.

375.

MEGRET (1987)

376.

Henri GOBARD est l’auteur de l’ouvrage La guerre culturelle : logique du désastre, paru en 1979 aux éditions Copernic.

377.

Cf. Annexe n°7

378.

MILZA (1994), p.44

379.

Mouvement est un mensuel d'observation et d'analyse de la scène artistique contemporaine (danse, théâtre, musiques, arts visuels mais aussi philosophie ou littérature), crée en 1998.

380.

Antonio GRAMSCI (1891-1937), philosophe marxiste et théoricien politique italien, a élaboré le concept d’hégémonie culturelle qui décrit à la fois la domination culturelle d'un groupe ou d'une classe, et le rôle que les pratiques quotidiennes et les croyances collectives jouent dans l'établissement des systèmes de domination.

Pour GRAMSCI, toute classe qui vise à la conquête du pouvoir politique doit dépasser ses simples intérêts «économiques», prendre le leadership moral et intellectuel, et faire des alliances et des compromis avec un certain nombre de forces sociales.

381.

Entretien de Bruno MEGRET, Mouvement, juin 1998

382.

Ibid

383.

MEGRET, in LE PEN (1987), pp.103-109