A – Les campagnes municipales de 1995 : l’exemple de quatre villes

Avant la conquête de sièges au sein de conseils généraux et régionaux390, grâce à de nombreuses triangulaires, la voie municipale apparaît comme un terrain d’action privilégié par le F.N. Les réunions du Bureau politique ont abouti au parachutage de nombreux cadres dans les régions P.A.C.A. et Rhône-Alpes. Dans le chapitre « Les étapes de l’implantation électorale (1972-1988) » de l’ouvrage collectif Le Front national à découvert 391, Pascal PERRINEAU montre que le sud-est de la France a été un terrain particulièrement sensible aux idées développées par le F.N. « [D]e forts liens apparaissent entre certaines caractéristiques sociales (urbanisation, taux de population immigrée) et implantation du vote F.N. […] Le terrain d’élection du F.N. est celui des grandes agglomérations cosmopolites 392 [telles que] Montpellier-Marseille-Nice » 393 .

Le vote F.N. pourrait ainsi traduire un refus du « cosmopolitisme » pour la défense des cultures régionales et des traditions françaises. La culture apparaît comme un enjeu pour les acteurs politiques en ce sens qu’elle exprime l’identité. Pierre MULLER, dans son ouvrage Les politiques publiques , a démontré que toute politique publique est une « production de sens » puisqu’elle est inséparable de ce qu’il appelle un « référentiel », c'est-à-dire « une représentation, une image de la réalité sur laquelle on veut intervenir » 394 . La spécificité des politiques municipales dans les villes dirigées par le F.N. repose essentiellement sur la volonté d’afficher ce que nous qualifierons de politiques culturelles de rupture. En effet, dans tous ses discours de campagne, Jean-Marie LE PEN a mis en avant sa volonté de vouloir rompre avec la politique menée par les partis au pouvoir et de montrer comment le Front national peut parvenir à répondre aux attentes du peuple. Nous allons démontrer que derrière cette stratégie de rupture des politiques culturelles menées jusqu’à l’arrivée de dirigeants frontistes, les actions mises en oeuvre par le F.N. répondent essentiellement à deux objectifs : accroître le sentiment d’exclusion du peuple selon la logique du complot, et proposer une politique culturelle dont le résultat sera essentiellement une sur-médiatisation et donc un accroissement de la notoriété du parti. Par ailleurs, il sera intéressant de déterminer le niveau d’indépendance des nouveaux maires par rapport au chef du parti.

Notes
390.

Des dirigeants frontistes ont obtenu des sièges au sein des Conseils régionaux de Picardie, Bourgogne, Rhône-Alpes et Languedoc-Roussillon grâce à des alliances passées en 1998 avec les futurs présidents de région Charles BAUR (U.D.F.-F.D.), Jean-Pierre SOISSON (apparenté U.D.F.), Charles MILLON (U.D.F.-D.L.) et Jacques BLANC (U.D.F.-D.L.).

391.

MAYER et PERRINEAU (1996), pp.37-62

392.

Nous tenons à relever le fait qu’il est symptomatique que Pascal PERRINEAU reprenne une partie du vocabulaire frontiste, en l’occurrence ici le terme « cosmopolite ».

393.

PERRINEAU (1996), p.44

394.

MULLER (2003), p.62