1 – 1 – Le café-musique Le Sous-Marin

Les cafés-musiques, cafés-concerts ont été encouragés, en 1991 par Jack LANG, à devenir des lieux de répétition et de programmation, mis à la disposition des jeunes des quartiers de banlieues, mais aussi de ceux des petites villes et des zones rurales. Ils peuvent ainsi servir de première scène à des groupes débutants tout en assurant des fonctions de restauration et d'organisation des concerts. Constitués en associations, ils sont susceptibles de recevoir une subvention de l'Etat et des collectivités territoriales. En 1997, une soixantaine d’associations de ce type ont été recensés en France.

L’association Le Sous-Marin créé en 1994 à Vitrolles, proposait environ une quarantaine de concerts par an, accueillant ainsi plus de 8000 spectateurs annuels. Elle comptait quelque 700 adhérents en 1997, vitrollais ou régionaux, pouvant bénéficier de 400 heures d’ateliers de répétition et d’aide technique aux groupes de musiques. Le Sous-Marin était subventionné par la D.R.A.C. de la région P.A.C.A., le Conseil Général de Bouches-du-Rhône, l’Association Régionale pour la Coordination des Activités musicales et Chorégraphiques (A.R.C.A.M.), et le Ministère de la Jeunesse et des Sports.

Dès son entrée en fonction à Vitrolles, le conseil municipal contacta l’association, par voie postale, afin de lui proposer d’organiser desspectacles plus « représentatifs de la culture française ». L’absence de réponse du Sous-Marin fut suivie très rapidement par une suppression de la subvention municipale de 200 000 francs (30 490 euros) qui était jusqu'alors versée chaque année, et qui représentait 20% du budget annuel de l’association. Cette « censure » a rapidement été dénoncée et poursuivie juridiquement : une quinzaine d’articles de presse furent publiés la semaine des faits et des artistes manifestèrent leur solidarité avec le café-concert. Un concert de soutien rassemblant 3 000 à 4 000 personnes est alors organisé au Stadium de Vitrolles avec les groupes Noir Désir , Massilia Sound System , Miossec , Les Thugs , Burning Heads et Biocide. Deux jours après, la municipalité fait murer le café-musique en application d’un « arrêté de fermeture » et d’un « arrêté de reprise de possession des lieux » pris par la mairie qui estimait que « l'ambiance n'était pas saine et l'on encourageait dans ce lieu, l'incivisme, la violence voire même la délinquance » 410 . Hubert Fayard, premier adjoint au maire de Vitrolles, déclara que cette fermeture était due au non-respect des conditions de sécurité et à la circulation de drogues. La presse nationale emboîta alors le pas à la presse régionale en suivant l’affaire par le biais d’envoyés spéciaux, notamment Hervé VAUDOIT et Chantal AUBRY, journalistes à Libération.

Les responsables du Sous-Marin ont déposé une plainte pour « effraction par voie de fait », les locaux ayant été saccagés. La municipalité fut condamnée une première fois, en octobre 1997, pour «effraction, voie de fait caractérisée et entrave à la liberté d’expression» par le Tribunal de Grande Instance d’Aix-en-Provence. La clôture murant les locaux fut alors détruite. Mais à la suite à cette condamnation, la mairie convoqua un conseil municipal en urgence et annula la convention mettant à disposition la salle. La remise des clés à Catherine MEGRET marqua la fin du café-concert à Vitrolles.

En novembre 1998, le Tribunal administratif de Marseille jugea la fermeture du Sous-Marin « illégale ». Une nouvelle procédure aboutit quelques mois plus tard à une condamnation pour diffamation envers le Sous-Marin de Catherine MEGRET et de Hubert FAYARD, adjoint à la culture.

Une forte mobilisation, tant locale, que régionale et nationale, exprima une dénonciation et un engagement généralisés des milieux politiques et intellectuels. Hubert FAYARD déclara alors « [qu’]en prenant part pour Le Sous-Marin, les élites de la gauche caviar viennent de soutenir la consommation de drogue, le trafic de fonds irréguliers, la vente illicite d'alcool et l'ouverture d'un local en dehors des normes de sécurité » 411 .

L'équipe du Sous-Marin sillonna la France à travers de nombreux lieux culturels pour témoigner et ouvrir le débat. L'association, toujours active dans la ville de Vitrolles et ses alentours, continua d'organiser des spectacles centrés sur les musiques actuelles et travailla sur l'élaboration d'ateliers de répétition pour les jeunes groupes de la ville et du département. À cinq mois des élections municipales de 2001, le café-musique de Vitrolles fêta ses six ans d’existence aux Docks du Sud, à Marseille.

Cette affaire suscitera l’intérêt des journalistes audiovisuels qui diffuseront des reportages dans les trois journaux télévisés nationaux.

La nouvelle équipe municipale pratiqua ainsi une censure manifeste contre ce qu’il est convenu d’appeler les cultures actuelles : le hip-hop, le rap, la techno, les arts urbains, etc… Le café-musique Le Sous-Marin proposait, à divers groupes de la ville et des communes limitrophes, l’accès à un local de répétition et à une scène de spectacle. Les formations musicales programmées étaient, pour la majorité, des groupes de rap, de hip-hop, de raga, etc… Ce lieu était ainsi considéré comme un acteur culturel d’intégration, de rassemblement et d’échange permettant ainsi à une jeune population d’accéder librement à des activités culturelles.

Par ailleurs, le site, qui était situé à quelques mètres de la mairie, était également devenu un lieu d’accueil pour les associations, dites anti-F.N., qui se sont constituées après l’arrivée des MEGRET à la mairie. La nouvelle équipe municipale se servit ainsi de cet argument pour dénoncer à la fois la programmation et la relation entre logiques partisanes et activités artistiques. En effet, la censure pratiquée par le F.N. correspond aux positions présentées dans le programme de 1993, dans lequel il est explicitement dit que «  [r]ap et techno […] ne sont pas des expressions musicales » 412. Le F.N. n’a jamais caché sa non-reconnaissance des formes artistiques liée aux arts urbains mais les commentaires qu’il formule sont dénués d’explications concrètes.

Pourtant, il nous paraît contradictoire de dénoncer une censure exercée à l’encontre du parti dans la mesure où la fermeture du Sous-Marin constitue également une forme de censure quant à la liberté d’information et d’expression des habitants de Vitrolles. En effet, le café-concert était devenu un lieu de résistance où se réunissaient de nombreuses associations, dont les subventions et la location et/ou la mise à disposition de locaux municipaux leurs avaient été refusées. Ce lieu était devenu un lieu d’expression qui permettait la tenue de réunions publiques, de colloques, ou de conseils et d’échanges entre les acteurs culturels, les acteurs politiques de l’opposition et la population. Il constituait ainsi une vitrine symbolique de l’opposition à la nouvelle gestion municipale.

Notes
410.

AUBRY, Le Monde, 8 octobre 1997

411.

VAUDOIT, Libération, 7 octobre 1997

412.

FRONT NATIONAL (1993), 13e proposition, « Assurer la promotion de toutes les bonnes musiques »