1 – 2 – La « campagne de licenciements »

Catherine MEGRET, pendant sa campagne électorale, avait promis, par un courrier adressé à tous les habitants de Vitrolles, qu'il n'y aurait pas de « chasse aux sorcières ». Pourtant dès 1997, près de 140 licenciements413 sont décidés « pour raison économique »414.

Plusieurs journalistes de la presse nationale415 ont couvert cette « campagne de licenciements ». Le licenciement de Régine JUIN, directrice du cinéma Les Lumières 416 , fut à l’origine des premières réactions nationales417. Démise de ses fonctions le 26 juin pour « refus d’obtempérer », Régine JUIN avait en effet refusé de déprogrammer un Festival, comme le lui demandait la mairie. Ce Festival présentait une série de courts-métrages sur les risques du Sida et sur l’homosexualité, réalisés dans le cadre de l’opération nationale « Trois mille scénarios pour un virus »418.

«Malgré un refus de la part de la municipalité de programmer un film sur l’homosexualité, Mme Juin l’a fait», a précisé à l’A.F.P., le 30 juin 1997, Alfred LIEVIN, conseiller municipal F.N. également Président de la Société d’économie mixte Vitrolles-animation qui gère Les Lumières. Ce dernier expliqua que ce genre de films ne «convenait pas» aux élus vitrollais. À la fin mai, dans une lettre adressée à Madame JUIN, Brigitte MARANDAT, Conseillère municipale F.N. déléguée à la culture, lui faisait part de son «très vif mécontentement» pour avoir passé outre sa demande «en date du 19 mai concernant la programmation d’une soirée à thème sur l’homosexualité ayant pour origine l’association Lesbian & Gay Pride Films».

Le Front national agira ainsi, selon lui, au nom de la protection de la morale et pour la défense de la famille française. La «dégénérescence» de la civilisation française serait entraînée par une dérive des mœurs et une crise de l’institution familiale, avec la «complicité» de l’Etat.

Dès 1993, Bruno MEGRET critiqua ouvertement lors d’une conférence intitulée « Civilisation contre barbarie. Lorsque le système politico-médiatique affaiblit nos valeurs »419, le « laxisme des mœurs […] encouragé par des lois permissives ou par l'application laxiste des lois en vigueur, comme par exemple en matière de pornographie, jusque sur les chaînes de télévision d'Etat». Bruno MEGRET, en décidant l’annulation du festival de courts-métrages, a affirmé la singularité réfractaire du Front national face à l’évolution des mœurs.

De nombreux réalisateurs, producteurs et auteurs ont adressé une lettre ouverte au Président de la République, Jacques CHIRAC, et au Premier ministre, Lionel JOSPIN, en faveur du respect des «libertés d’expression et de réunion inscrites dans la Constitution».

Brigitte JUIN fut interviewée par des journalistes de FR3 dont le reportage fut diffusé lors du « Tout en images » du 3 juillet 1997420. En décembre 1999, le conseil des prud'hommes de Martigues jugea ce licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le cinéma Les Lumières connut ensuite de multiples rebondissements : il fut géré par un projectionniste amateur, puis fermé pendant quelques mois, puis utilisé comme salle de conférences par l’équipe municipale de Catherine MEGRET, et ferma ses portes de 1999 à octobre 2002, date à laquelle Guy OBINO421, nouveau maire PS de la ville, inaugura sa réouverture.

Régine JUIN, qui a travaillé pendant plus d’une année sur le projet de réouverture en association avec la Mairie, fut remplacée à la rentrée 2002, grâce aux votes des conseillers municipaux, par un ancien directeur de salle de cinéma de Bollène, dans le Vaucluse.

Cet événement illustre parfaitement l’approche frontiste de gestion de l’action culturelle en ce sens qu’il exprime les logiques interventionnistes du couple MEGRET qui souhaite avoir la mainmise sur le champ culturel notamment. Tous les projets, les programmes, les institutions, doivent dépendre des volontés et des décisions municipales. Ainsi d’autres licenciements suivront, notamment ceux du Directeur de la programmation des fêtes et musiques ainsi que celui de la Directrice du théâtre, tous deux refusant de soumettre au conseil municipal le choix de la programmation.

Notes
413.

Chiffres revendiqués par la Charrette, collectif d’associations regroupant notamment une partie des 140 personnes mises au chômage par la nouvelle municipalité et repris par la plupart des médias. Il convient de rappeler que la ville de Vitrolles comptait plus de 900 fonctionnaires pour 36000 habitants.

414.

Mais parallèlement, la mairie embaucha plus de cent personnes, dont une majeure partie de personnes non-vitrollaises et souvent proches du F.N. Catherine MEGRET avait même recruté des agents municipaux de Marignane en collaboration avec Daniel SIMONPIERI.

415.

Plus particulièrement Renaud DELY, François DUFAY, et Christiane CHOMBEAU.

416.

Le cinéma Les Lumières est un cinéma labellisé Art et essai, dont les entrées sont passées de 26000 à 72000 entre 1986 et 1996.

417.

Des journalistes du quotidien La Provence avaient déjà dénoncé cette campagne dans plusieurs articles.

418.

« Trois mille scénarios pour un virus » était une opération menée en France à partir de 1993, à l’initiative du Centre Régional d’informations et de prévention du Sida (CRIPS), de Médecins du Monde, et de l’AESSA (Association des enseignants du Sida de Saint-Antoine). Il s’agissait d’un concours de scénarios, ouverts aux jeunes de moins de 21 ans, qui a abouti à une trentaine de réalisations (pour plus de 4000 scénarios envoyés) par des artistes –acteurs et réalisateurs- bénévoles tels que Jane BIRKIN, Cédric KLAPISCH, Tonie MARSHALL, Gérard JUGNOT, Richard BERRY, Benoît JACQUOT, etc…

419.

Cette conférence a lieu le 3 septembre 1993 et son compte-rendu est disponible sur le site Internet de Bruno MEGRET.

420.

Ce reportage s’intitula « Vitrolles. Directrice de cinéma limogée ».

421.

Guy OBINO, médecin généraliste de formation, fut adjoint à la culture de Jean-Jacques ANGLADE avant la victoire des MEGRET aux élections municipales de 1995.