4 – 1 – La Bibliothèque municipale

Tout comme ce fut le cas à Orange, la première grande action, mise en place par le maire de Marignane, concerne la bibliothèque municipale. Affichant le souci de pluralité des idées, la municipalité a décidé de supprimer les abonnements de certains journaux et d’imposer l’achat d’abonnements de parutions de la droite nationale. Ainsi L’Evénement du Jeudi, Libération et La Marseillaise ont été retirés des rayons de la bibliothèque et remplacés par des titres proches du F.N tels que Présent, Rivarol et National Hebdo. Ces suppressions ont été justifiées par l’application de l’article 7 de la Charte des bibliothèques471 et pour pallier des problèmes budgétaires. Dans un article publié en 2004, dans le sixième Bulletin des Bibliothèques de France, Dossier Liberté de l’information, Jo KIBEE (Directrice du service des références de l’Université de l’Illinois) rappelle que « la Charte des bibliothèques , adoptée au début des années 1990, définit la bibliothèque comme « un service public nécessaire à l’exercice de la démocratie » ; ce document stipule en outre que les collections doivent en conséquence être accessibles à tous, conçues pour répondre aux besoins de l’ensemble des membres de la collectivité et pour représenter tout l’éventail des connaissances et des courants d’opinion. »

Ainsi, comme pour les autres villes frontistes, la mairie a outrepassé ses fonctions en décidant des choix d’acquisitions et de conservations des ouvrages. Ces missions dépendent normalement du personnel de la bibliothèque, mais « [e]xception faite des publications illégales, la politique d’acquisitions reste à la discrétion des bibliothécaires, qui n’ont aucun moyen juridique de s’opposer à l’ingérence des autorités politiques dans les collections et les services des bibliothèques municipales » 472 . Daniel SIMONPIERI a donc mis en place un comité éditorial composé des principaux adjoints municipaux dont Monsieur Robert EGEA, adjoint chargé des affaires sociales, qui assurent la « tutelle » de la bibliothèque.

Ainsi pour pallier l’absence de législation garantissant les responsabilités des bibliothécaires, l’Etat se doit d’assurer le contrôle technique des bibliothèques, notamment en ce qui concerne le pluralisme des collections et leur mise à la disposition du public. Régulièrement, des inspections sont diligentées, mais aucune sanction légale ne punit les irrégularités constatées. Pourtant, le personnel de la bibliothèque a pu se retourner devant le Tribunal administratif de Marseille au nom de la protection pénale des fonctionnaires publics473.

Dans le cas de la bibliothèque municipale de Marignane, une procédure a été engagée par onze personnes, donnant lieu à un jugement ordonnant la réintégration de La Marseillaise parmi les publications mises à la disposition du public. Afin de contourner cette décision, la municipalité a abonné la bibliothèque à L'Humanité Dimanche au lieu de La Marseillaise, ce qui provoqua une nouvelle procédure devant le tribunal administratif474. Elle sera suivie par de nombreuses autres procédures dénonçant la gestion de la bibliothèque telle qu’elle est menée par la mairie : interdiction aux enfants de moins de onze ans, non accompagnés, d'accéder à la section jeunesse de la bibliothèque ; nomination au poste de Directeur (par voie contractuelle) de Monsieur PICARD, ancien membre de l'équipe communication du maire F.N. de Toulon, rapidement remplacé par Monsieur STETTEN issu du siège du F.N. et collaborateur au journal Minute.

Notes
471.

Daniel SIMONPIERI, tout comme les trois autres maires F.N., a défendu sa position et ses décisions en citant cet article : « Les collections des bibliothèques des collectivités publiques doivent être représentatives, chacune à son niveau ou dans sa spécialité, de l'ensemble des connaissances, des courants d'opinion et des productions éditoriales. Elles doivent répondre aux intérêts de tous les membres de la collectivité à desservir et de tous les courants d'opinion, dans le respect de la Constitution et des lois. » Cf. Annexe n°16, Charte des bibliothèques adoptée par le Conseil supérieur des bibliothèques le 7 novembre 1991.

472.

KIBEE (2004), p.9

473.

Article 12 de l'ordonnance du 4 février 1959

Pour que l'administration soit tenue d'agir, il importe qu'il existe une menace ou une attaque réelle et précise à l'encontre d'un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions. La protection ne peut concerner que des actes liés à la fonction (Conseil d'Etat 10 décembre 1971). Ce n'est pas parce que les attaques ont cessé au moment de la demande que la protection doit être rejetée de cette dernière (Conseil d'Etat 16 décembre 1977) et si le fonctionnaire n'engage pas lui même les poursuites devant l'autorité judiciaire, l'administration ne saurait en tirer parti pour s'exonérer de ses obligations (Tribunal Administratif de Rennes 7 juillet 1976). A défaut sa responsabilité sera engagée (Conseil d'Etat 2 avril 1971).

474.

Pour connaître plus en détails les recours possibles lors de telles affaires, nous vous conseillons la lecture du dossier, « Les bibliothèques face aux pressions politiques : Quelques outils », réalisé et rédigé par par l'Association des bibliothécaires français (ABF), paru en mai 1999. Ce document est le prolongement de l'université d'été « Les bibliothèques et la culture face aux pressions politiques » organisée par la Fédération française de coopération entrebibliothèques, avec le soutien du Ministère de la culture et de la communication (Direction dulivre et de la lecture et Délégation au développement et aux formations) du 30 août au 2septembre 1998.