Quatrième partie : L’expression de l’idéal et de l’imaginaire politique du Front national dans ses politiques culturelles

Introduction

L’objectif de cette partie sera de montrer que l’idéologie du Front national repose sur un idéal politique fantasmé dont la ligne directrice est de susciter le rassemblement par une stratégie de type paranoïaque. « [I]l faut en être conscient, il en va pour les civilisations comme pour tous les organismes vivants : il leur faut être capable de se défendre contre les agressions extérieures. Certes, ces agressions peuvent être armées mais elles peuvent être aussi culturelles, migratoires et économiques. Et aujourd'hui nous subissons toutes les agressions non militaires sans que la classe politique et médiatique les juge comme telles. Plus grave, elle les considère comme des phénomènes inévitables, quand elle ne les juge pas tout simplement bénéfiques. » 505 Le Front national dénonce au nom d’un « nous », représentant le peuple, dont le F.N. dit faire partie, une menace que nous qualifierons de bipolaire : intérieure à la nation, et extérieure du fait d’« agressions » internationales. De plus, sur le territoire national, ces « attaques » seraient ainsi acceptées, voire même cautionnées par les partis au pouvoir.

Développée l’idée d’un peuple agressé sur son propre territoire peut être considéré comme une stratégie visant à mobiliser les militants et les électeurs du F.N. autour de valeurs répondant à leur idéal politique. Le F.N. va ainsi développer une rhétorique de mobilisation en résistance à l’agression.

La médiation culturelle permet au politique d’inscrire ses représentations dans le temps et dans l’espace. « Le champ culturel [dans le cadre des politiques culturelles des municipalités frontistes] est devenu une ligne de front symbolique sur laquelle se renégocie de manière conflictuelle, bien au-delà de la localité, la définition de l’espace commun » 506. L’art s’inscrit dans le passé (par le patrimoine), dans le présent (visibilité esthétique et symbolique) et dans le futur (représentation des projets, des utopies et des projections sur ceux qui nous succéderont). La politique frontiste, lorsqu’elle a eu la possibilité de mettre en oeuvre son programme sur le terrain municipal, s’est portée sur les actions culturelles.

La fin des années 90 fut marquée par l’accès des dirigeants frontistes aux responsabilités locales au sein de quatre municipalités du Sud de la France, mais aussi au sein de Conseils Généraux et Régionaux dont les Présidents doivent leur élection à des alliances avec le F.N. Les victoires électorales aux municipales de 1995 et de 1997 (Vitrolles) ont été révélatrices de la capacité du Front national à faire parler de lui d’une autre manière que par celle de la provocation. La sur-médiatisation accordée aux différentes « actions » mises en oeuvre par le parti a servi une fois de plus à le présenter comme victime du système politique français. Le F.N. a investi le champ culturel par la mise en oeuvre d’évènements plus médiatiques que « pédagogiques ». Dans la stratégie de Jacques BOMPARD ou de Bruno MEGRET pour la défense des intérêts personnels, comme dans celles de Jean-Marie LE CHEVALLIER et de Daniel SIMONPIERI, ce sont bel et bien les valeurs chères à l’extrême droite française qui ont été mises en avant.

Le parti de Jean-Marie LE PEN a « promu » l’expression de son idéal politique au travers de politiques culturelles mettant en oeuvre un ensemble d’actions fondées sur des idées réactionnaires répandues dans son électorat. Partant de l’analyse de Lionel RICHARD sur Le Nazisme et la culture 507 , nous allons démontrer que les représentations culturelles du Front national participent pleinement à la diffusion de l’identité politique du parti et de son idéal. « Par des images, symboles, mythes et idées qui accédèrent au rang de programme global à l’intention de la société, la conscience idéologique des nazis fut projetée arbitrairement sur la vie artistique et littéraire, sur la fonction et le statut de l’artiste » 508 . Selon les conclusions de Lionel RICHARD, la culture sous le IIIe Reich n’a été qu’un instrument d’expression du pouvoir politique.

Les municipalités frontistes, en tant que vitrines de l’idéologie du parti, ont mis en oeuvre des actions culturelles en parfaite cohésion avec le programme culturel national, notamment par la promotion d’un art national. La culture F.N. constitue ainsi l’instrument et l’expression d’une identité politique au travers des pouvoirs locaux.

Tout le travail symbolique effectué par le F.N. dans le discours ou dans l’image a porté ses fruits sur l’imaginaire collectif des militants et des partisans. Par l’importance accordée aux différents mythes fondateurs le parti aura assis ses positions et renforcé ainsi les liens propres au parti. Le F.N. s’attache à renforcer ce que nous qualifions d’identité politique paranoïaque en mobilisant plusieurs composantes de l’imaginaire collectif frontistes : le complot, la peur, etc… Ces composantes vont ainsi être présentes dans les différents discours et programmes relatifs au champ des politiques culturelles.

Par ailleurs, il conviendra de rappeler que la non-accessibilité du F.N. au pouvoir politique, explique la force et le poids de la dimension imaginaire de ses conceptions de la médiation culturelle et de la médiation esthétique.

Notes
505.

Bruno MEGRET, « Civilisation contre barbarie. Lorsque le système politico-médiatique affaiblit nos valeurs », Conférence du 3 septembre 1993.

506.

MILLIOT-BELMADANI (1999), pp.6-7

507.

RICHARD (1978). Cet ouvrage est, selon nous, un des plus pertinent dans l’analyse des représentations culturelles des identités politiques, notamment dans la mesure où il traite d’une idéologie politiques ayant instrumentalisée la culture à des fins propagandistes.

508.

Ibid, p.19