B – L’imaginaire politique du Front national

La plupart des études sur le F.N. tendent à restreindre leur exploration au domaine de la pensée organisée, construite, et logiquement conduite par des analyses de discours et des études sur l’électorat. Ce constat dénote le fait que les recherches sur l’imaginaire en politique sont, encore aujourd’hui, majoritairement absentes du domaine scientifique. Or comme le dit Bernard LAMIZET, dans La médiation politique, « l’imaginaire politique est à l’origine des peurs, des réactions de rejet, de racisme ou d’hostilité, mais aussi à l’origine des mouvements d’enthousiasme collectif qui ponctuent l’histoire de la vie sociale » 529. Aussi, dans le cadre de l’élaboration d’une théorie des représentations culturelles de l’identité politique du Front national, il nous paraît essentiel de traiter de l’imaginaire de ce parti dans la mesure où, selon nous, son idéologie et son programme reposent sur cette notion.

L’interprétation de l’imaginaire politique permet, selon nous, de comprendre ce qui fonde la culture politique du F.N. dans la mesure où l’imaginaire est un ensemble de représentations qui structure le discours, les références et les engagements du F.N.

L’imaginaire a quatre rôles qu’il convient de distinguer dans la communication politique et dans l’élaboration des identités politiques. Dans un premier temps, il s’agit de susciter l’adhésion immédiate du sujet, car l’imaginaire est, d’abord, une suspension de la distance et de la médiation. Puis, l’imaginaire politique permet de réduire la résistance intellectuelle, en empêche sa mise en œuvre. Il peut également donner, sous la forme de l’utopie et de la menace, une expression politique au désir et à la crainte qui expriment les pulsions immédiates de la subjectivité. Enfin, il permet de rendre possible la formulation de logiques politiques censées être significatives en tout temps et en temps lieu.

Le F.N. met en avant une perte des repères, voire des identités, qui serait associée par de nombreux sociologues à une insécurité économique et sociale. Ce motif correspond à ce que nous évoquions dans notre seconde partie530 en parlant de la crise de sens qui menacerait, selon le F.N., la société. Influer sur l’imaginaire permet au Front national de sensibiliser les citoyens en agissant sur des fantasmes de persécution par une multitude de formes, de rites, de symboles. « La création des significations est une pièce maîtresse des manœuvres politiques : quiconque souhaite prendre l’avantage sur ses adversaires se doit de construire des croyances qui rationalisent ou contestent les inégalités existantes en définissant de telle ou telle façon les événements, les mesures, les dirigeants, les problèmes et les crises. […] La meilleure tactique consiste à évoquer des interprétations qui légitiment les lignes d’actions préconisées et menaçant ou rassurant les populations pour les inciter à l’acquiescement ou à la passivité » 531 .

Cette analyse s’applique parfaitement à la stratégie développée par le Front national au sens où il développe un imaginaire de la contestation et un imaginaire de la persécution. Aussi, nous estimons qu’il est important d’analyser la place de l’imaginaire dans le F.N., mais également d’analyser la façon dont le F.N. mobilise l’imaginaire dans sa politique (peur, utopie), plutôt que la critique, la réflexion et la distanciation. Et pour ce faire, nous estimons qu’une présentation, à partir de quatre textes relatifs aux théories culturelles du parti, de ce que nous appelons la « rhétorique de l’imaginaire » est nécessaire.

Notes
529.

LAMIZET (1998), p.255

530.

Plus précisément dans le 3e point consacré à l’« Expression de l’identité collective du F.N. dans le champ de la médiation culturelle », p.36

531.

EDELMAN (1991), p.195