B – La promotion de valeurs morales et de l’héritage

L’exaltation de l’ordre et de la hiérarchie, l’attachement à la nation placée au centre du projet politique, la sacralisation du passé, l’anti-intellectualisme, la crainte de la décadence sont les principales valeurs de l’extrême droite. Elles correspondent avant tout à un idéal de vie, à des principes qui vont au-delà du politique. Pour le F.N., «  la première des conditions de la civilisation c'est l'existence de règles. Il n'y a pas de civilisation sans ordre, sans norme, et donc sans autorité et sans hiérarchie. Ces notions sont essentielles car elles permettent précisément d'ordonner le monde, d'éviter qu'il ne tombe dans le chaos, c'est-à-dire dans l'anarchie et la barbarie » 562.

Nous avons présenté et analysé, tout au long de cette étude, le fait que, selon le F.N., le déclin de la civilisation serait intrinsèquement lié à celui de la culture. La création, la diffusion et la promotion d’une culture sans assise nationale et qui ne respecterait pas les règles et les normes « naturellement » établies, aboutiraient à la disparition progressive de la civilisation.

L’idéal politique du Front national repose ainsi sur une légitimation « naturelle » de l’ordre établi, en ce sens où le rapport entre « nature » et « culture » dans le discours du F.N. se définit par la référence à une culture de l’identité nationale, et par la référence à l’universalité de la « raison naturelle ». Cette référence se caractérise dans le discours du F.N. par une contradiction entre le caractère universel de la naturalité et de l’ordre naturel, et la référence à la culture comme expression de l’identité nationale.

La signification de la référence à l’ordre moral, et en particulier, la référence que l’on peut faire à d’autres imaginaires que celui du F.N. -notamment le régime de Vichy-, comporte la même référence à la « naturalité ». « L’ordre moral », expression chère, à Jean-Marie LE PEN et à ses lieutenants, symbolise plusieurs fondements sur lesquels repose l’idéal politique du parti, tel que le principe de causalité : « Le peuple n’est plus considéré pour ce qu’il est, communauté structurée selon l’ordre naturel des familles, des communes, des provinces, dans des professions ou des métiers, mais comme un « consommateur de culture ». » 563 Cet exemple exprime la vision frontiste selon laquelle le peuple français devrait être régi selon une loi naturelle en agissant selon son instinct, à l’abri de toute prescription faite des « ennemis » de la civilisation française. Une société régie sur ces valeurs permettrait une forme de stabilité sociale qui ferait actuellement défaut à la France.

Dans sa prééminence accordée à la famille, le Front national rejette toutes les « agressions » qui menaceraient la nation : le divorce, l’homosexualité, les couples mixtes, etc… Ces « déviances », comme les appelle le Front national, seraient présentes au sein de la communauté artistique qui participerait ainsi à la diffusion de valeurs non conformes à celles du F.N. Aussi, le F.N. rejette toute culture dont les messages et/ou les acteurs participeraient à la diffusion de valeurs contraires à la morale. Il s’agit là d’une forme de censure de la culture et plus spécifiquement d’œuvres subversives qui constitueraient la représentation et l’expression de valeurs contraires à l’idéal politique du F.N. : la modernité, la rupture, le « cosmopolitisme », l’individualisme, le déracinement.

Le treizième chapitre de l’ouvrage de Jean-Marie LE PEN, Pour la France, intitulé « Le redressement intellectuel et moral » s’ouvre sur un constat établi par le président du F.N. selon lequel « la France [financerait] la décadence des mœurs, du langage, de l’art et de la culture » 564 . En ce sens, les différents gouvernements auraient mis en œuvre une politique culturelle qui serait à l’origine de la décadence de la nation. Or la politique culturelle nationale prônée par le F.N. repose sur des valeurs, des traditions fidèles à la civilisation dont il se réclame.

Nous avons montré que la notion d’héritage est une composante de l’identité politique du F.N. : « [n]ous savons que la France est riche d’une civilisation exceptionnelle qui a mêlé, pour le meilleur, la Nature et la Grâce : il nous suffit d’être fidèles à cet héritage. » 565 L’utilisation du terme « grâce » renvoie à la fois à une connotation religieuse, au divin, qu’à des critères de charme et d’agrément. En théologie, le terme « grâce » renvoie à une disposition divine et peut également exprimer le pardon, l’affection, la bienveillance. En associant les termes « Nature » et « Grâce », sous la forme d’une expression religieuse566, le F.N. exprime à nouveau une référence à l’ordre naturel sur lequel se fonde son héritage idéologique.

Dans le champ de la médiation culturelle, l’héritage duquel se proclame le Front national, correspond à la revalorisation du patrimoine national qui constitue une forme de mémoire de la civilisation. Ce principe explique les critiques émises par le Front national à l’encontre des artistes contemporains dont le travail ne serait régi que par « une obsession de la modernité et de la rupture ». 567 De par son attachement au passé, le Front national ne peut cautionner un art de rupture, contraire aux valeurs ancestrales de la France. Le refus des formes artistiques contemporaines traduit un refus de l’évolution de la société tant d’un point de vue sociale, que d’un point de vue technique.

Ainsi, l’ordre et l’héritage sont constitutifs de l’idéal politique du F.N. de défense de l’identité nationale dans le respect et la valorisation du peuple français.

Notes
562.

MEGRET, Conférence du 3 septembre 1993.

563.

FRONT NATIONAL (1993), « « Culture de masse », Culture « branchée », « Folklore » »

564.

LE PEN (1982), p.163

565.

FRONT NATIONAL (1993), « Le Beau, le Bien, le Vrai »

566.

Il convient de rappeler ici l’œuvre de Saint AUGUSTIN (354-430), philosophe chrétien, qui l’auteur d’un ouvrage intitulé De la Nature et de la Grâce.

567.

MEGRET (1998), pp.9-11