2 – La rhétorique de l’engagement politique au Front national

L’engagement politique est une attitude de revendications dont le sujet serait porteur dans l’espace de la sociabilité. Les membres du F.N. appartiennent, selon Brigitta ORFALI, à une culture minoritaire577, en marge du système politique ce qui implique un double positionnement du F.N. quant à l’engagement politique.

D’une part, le Front national développe la force et la cohésion du groupe dont le projet de société apparaît pourtant comme minoritaire, en insistant sur la stigmatisation dont seraient victimes ses adhérents. L’estime de soi des militants frontistes se voit ainsi renforcée par le sentiment de cohésion de groupe.

D’autre part, l’importance accordée par Jean-Marie à son « statut » de porte-parole et membre du peuple traduit la volonté de présenter le F.N. comme « un groupe prestigieux », un groupe d’élus (au sens biblique du terme) qui serait à même de défendre la nation. « L’inclusion dans un groupe prestigieux valorise ; en être exclu, maintenu à distance ou renvoyé à une appartenance dévalorisée, engendre du ressentiment qui trouvera divers modes de traductions politiques » 578 . Le sentiment d’appartenance à une communauté formée de privilégiés susceptibles de défendre la nation ne peut que s’amplifier par la convocation d’un imaginaire du déclin tel qu’il est exprimé par le parti. Le combat dans lequel s’est engagé le parti est ainsi légitimé par la victoire du Bien (celui de la vérité), sur le Mal (représenté par « les autres »).

De plus, nous avons montré que la croyance, l’imaginaire et le désir du sujet sont des facteurs essentiels dans la démarche de l’engagement artistique et politique. Ces trois facteurs, dont le potentiel émotionnel n’est plus à démontrer, apparaissent dans le champ des politiques culturelles du F.N.

Les politiques culturelles du F.N. constituent des exemples de la prise en compte de ces trois facteurs dans la mesure où elles expriment la culture politique du parti. Ainsi, par la mise en œuvre de références esthétiques conformes aux traditions frontistes, le parti s’est investi dans une stratégie d’identification en mobilisant les mémoires et en intervenant dans des domaines culturels qui répondent aux attentes de ses militants.

L’annulation décidée par l’équipe municipale de Vitrolles, en 1997, du programme du cinéma Les Lumières consacré à une série de courts-métrages sur l’amour au temps du sida peut s’« expliquer » par plusieurs critères : la dénonciation de mœurs qui seraient contraires à l’ordre moral (croyance), la dénonciation de mœurs qui iraient à l’encontre de l’approche vitaliste du F.N. (imaginaire), et la revendication d’un retour du cinéma à vocation populaire (désir).

Ainsi, et comme l’a parfaitement montré Max WEBER dans le premier tome de son essai Economie et société, « [c]’est seulement avec l’apparition d’oppositions conscientes à des tiers qui se produit chez ceux qui parlent une langue commune, une situation analogue, un sentiment de communauté et de socialisations […] » 579.

C’est dans l’objectif de conforter ce sentiment d’unité et de cohésion dont seraient porteurs ses militants, que le Front national a développé sa propre langue. Cette forme de communion d’un groupe, en conflit avec les ennemis de la société qu’il idéalise, est amplifiée par l’utilisation de symboles appartenant à leur culture politique.

Notes
577.

Voir Brigitta ORFALI, « Le droit chemin ou les mécanismes de l’adhésion politique », étude présentée dans l’ouvrage Le Front national à découvert, Sous la direction de Nonna MAYER et Pascal PERRINEAU, Paris, Presses de la FNSP, 1996, 413 p.

578.

BRAUD (1996), p.172

579.

WEBER (1998), p.43