B – Les symboles

Le symbole a « une fonction générale de médiation par le moyen de laquelle l’esprit, la conscience, construit tous ses univers de perception et de discours »580.

L’utilisation de symboles permet de donner une apparence, une visibilité à des discours, du poids à une idéologie. La symbolique culturelle frontiste repose sur des normes, des traditions, impliquant donc un refus du progrès et un rejet d’une approche qualifiée de « cosmopolite » de la culture. Les composantes de l’identité politique du F.N., à savoir la dénonciation des agressions qui menaceraient l’identité nationale, ainsi que la théorie du complot décliné sous les trois formes que nous avons analysé précédemment581, sont des facteurs de mobilisation. L’ancrage identitaire des partisans du F.N. qui se présentent à la fois comme les victimes d’une pensée unique mais aussi comme les membres d’un peuple en perpétuel combat pour la nation, participe de cette stratégie. Ainsi, les références culturelles du F.N. font figure de symboles héroïques dont les dirigeants seraient les héritiers. Quels que soient les domaines culturels concernés, ces références illustrent particulièrement les combats menés pour la défense de la nation. « Les symboliques politiquement efficaces seront donc celles qui engendrent des gratifications psycho-affectives. Soit qu’elles contribuent à exorciser des dangers, apaiser des angoisses, soit qu’elles répondent à des attentes profondément enfouies dans la structure émotionnelle des membres du groupe » 582 . Cette analyse de Philippe BRAUD peut parfaitement s’appliquer, selon nous, aux politiques culturelles du F.N. en ce sens où l’esthétique qu’il met en oeuvre exprime une identité de type paranoïaque dont découle la théorie du complot et le sentiment d’appartenance à ce que nous avons nommé une « contre-société » constituée de privilégiés ou d’« élus ».

L’activité symbolique s’exprime particulièrement par des concepts tels que par exemple les mythes que l’on peut définir comme des croyances mobilisatrices ayant des effets sur les membres d’un groupe social défini. « Dans la médiation esthétique, l’appartenance s’exprime par des formes qui peuvent créer des émotions des sens. On peut définir l’émotion esthétique comme la rencontre entre la reconnaissance d’un idéal et la perception d’une forme inscrite dans le réel du sujet qui la perçoit. L’émotion esthétique est mise en œuvre par cette rencontre, par cette articulation, entre le réel et la représentation dont nous sommes porteurs de l’idéal que nous reconnaissons ou que nous assumons dans notre existence» 583 . L’émotion esthétique recherchée par le F.N. se fonde sur l’idéal politique de « renaissance » de l’identité nationale dont il serait porteur.

À ce titre, et bien que le F.N. n’ait pas de pouvoir spécifique si ce n’est le pouvoir local qu’il a exercé durant six ans dans quatre villes, son statut de parti d’opposition et son idéal politique de mise en œuvre d’une « contre-société », constituent une forme de pouvoir symbolique sublimé aux yeux de ses partisans.

La sublimation du pouvoir implique la mise en place d’une communication politique propre à chaque système et dont la stratégie se développe autour de valeurs communes.

Comme l’a souligné Eric J. HOBSBAWN dans son ouvrage L’âge des extrêmes 584 , le pouvoir attend de l’art une contribution à sa « propagande » et à l’éducation des militants et des adhérents dans l’idéologie et les valeurs qu’il revendique. En expliquant que « le cinéma est un autre instrument de culture »585, Bruno MEGRET utilise la technique du double sens, pratiquée par la majeure partie des cadres du F.N., pour exprimer la dimension propagandiste des politiques culturelles du F.N.

Les symboles frontistes participent à l’expression culturelle du F.N. au sens où ils s’articulent autour de ses fantasmes et de ses obsessions. Ainsi, la stratégie de l’esthétisation586 développée par Peter REICHEL dans son ouvrage La fascination du nazisme a permis de montrer que « le décorum et la ritualisation de la politique visaient à lui redonner un éclat et à satisfaire les besoins d’identification, de communauté, de divertissement et de beauté éprouvées par les masses ». L’utilisation de symboles, en l’occurrence iconographiques dans notre cas d’étude, va s’articuler également autour d’un monde scindé en deux : le Front national et les autres. D’où les oppositions constantes entre le pur et l’impur, le beau et le laid, le sacré et le profane. La flamme bleu blanc rouge, logo du parti, symbolise la « renaissance » de la nation annoncée par le parti, et la destruction de tous les éléments qui menaceraient la civilisation. Le Front national, sur les pages « Historique » de son site Internet, explique que l’utilisation de la flamme symbolise « la foi et l’espérance nationale ». Le feu est un des quatre éléments qui compose la nature (l’eau, l’air, la terre) et peut ainsi symboliser la purification qui mène à la « renaissance » prônée par le F.N.

Les symboles du F.N. expriment son identité politique et participent ainsi à la construction d’une « contre-société » ayant ses propres codes symboliques et iconographiques, ce qui renforce à la fois le sentiment d’appartenance et la cohésion du groupe. L’utilisation de symboles propres à un groupe permet à ses membres de se distinguer des autres tout en revendiquant une forme d’unité. Les symboles servent à constituer une histoire et une mémoire commune.

La symbolique frontiste emprunte également à la religion et aux divers langages de la propagande : glorification du chef, drapeaux, foules regroupées massivement autour du chef, etc… Les symboles utilisés par le parti relèvent des grandes épopées de la France afin de créer un ensemble cohérent d’une vision du monde et satisfaire les différentes mouvances du parti : Jeanne d’Arc pour attirer les catholiques traditionalistes, les discours anti-communistes pour la droite libérale, le nom du parti pour les nostalgiques de l’Algérie française, etc…

Dans son ouvrage, Un néo-populisme à la française, 30 ans avec le Front national, Erwan LECOEUR a montré que l’analyse de ces symboles doit porter sur la construction de l’identité du parti, et principalement sur la posture du parti minoritaire, identitaire et uni.587

Notes
580.

CASSIRER (1972), p.19, Cité par CAUNE (1997), p.70

581.

Cf. Deuxième partie, p.128

582.

BRAUD (1996), p.7

583.

LAMIZET (1995), p.166

584.

HOBSBAWN (1990)

585.

MEGRET (1986), p.117

586.

Peter REICHEL a montré, dans le chapitre consacré à la propagande et au divertissement, que l’esthétisation avait une fonction politique pour le national-socialisme, notamment dans le traitement des questions sociales et nationales. Il a ainsi développé ce qu’il nomme une stratégie de l’esthétisation, qui s’articule autour de quatre éléments : la personnification de la politique, la dimension mythique de la politique, la mise en scène et la schématisation de l’individu.

587.

LECOEUR (2003), p.231