2 – La création comme distanciation et résistance au pouvoir

Les lieux de la représentation esthétique et culturelle peuvent être ceux de la critique sociale, notamment en ce qui concerne la représentation théâtrale. Les artistes ont toujours été les premiers acteurs sociaux à dénoncer et à combattre les idéologies contraires aux principes démocratiques au travers de leurs œuvres605. Subissant de plein fouet la censure, manifestation du pouvoir politique, les artistes sont particulièrement sensibilisés au danger d’une politique culturelle conformiste, voire totalitaire.

Les politiques culturelles du F.N., élaborées, comme nous l’avons vu selon des critères idéologiques, portent atteinte notamment au processus de distanciation par l’imposition, aux artistes et au public, de règles et de normes de création spécifiques. La médiation culturelle ne peut être engagée si les œuvres, mises en œuvre dans le cadre de politiques frontistes, proposent au spectateur une vision façonnée de la société, fidèle aux valeurs que le parti entend défendre.

« La distanciation esthétique, qui fonde la sublimation esthétique en lui donnant sa consistance institutionnelle, fait de l’art une représentation nécessairement critique de la sociabilité et des formes que nous lui donnons : les formes de l’art font apparaître les formes de la sociabilité dans une perspective de sublimation, et, par conséquent, dans un projet critique par rapport à la sociabilité existante » 606 . Or le Front national refuse toute critique de la nation et de l’identité nationale, ce qu’il exprime, par exemples, au travers de l’expression « théâtre de rupture »607 et dans son combat contre l’art contemporain608. En ce sens, l’expression esthétique du F.N. rend impossible toute forme de distanciation.

Nous avons montré, dans notre troisième partie, que la majorité des acteurs de la médiation culturelle ont manifesté leur résistance face au F.N. et plus particulièrement face à ses politiques culturelles, et ce à de multiples occasions et sous diverses formes. Leurs mobilisations témoignaient d’une volonté de dénonciation de la censure exercée, par les maires frontistes, à l’encontre des acteurs de la médiation.

Notes
605.

Paul ARDENNE a rappelé, lors de la conférence « L’art contemporain a-t-il une dimension politique ? », que grâce au rassemblement Artists’ International Association, mouvement ouvertement prosoviétique, anticolonialiste et antifasciste créé à Londres en 1933, de nombreux peintres, dramaturges, cinéastes et chanteurs, ont combattu les idéologies naissantes. Walter BENJAMIN, Bertolt BRECHT, ou encore Pablo PICASSO encouragèrent les artistes à ne pas « rester indifférents à un conflit dans lequel les plus grandes valeurs de l’humanité et de la civilisation sont engagées ».

606.

LAMIZET (2000), p.88

607.

LE PEN (1982), p.172

608.

Ce que nous développerons dans la cinquième et dernière partie de notre thèse.