3 – La place de la création dans l’expression des identités politiques

La création a une place primordiale dans le processus d’élaboration d’une identité en ce sens qu’elle constitue un élément prépondérant de la reconnaissance des acteurs sociaux dans le champ de la médiation culturelle. L’activité de création permet au sujet de mettre en œuvre pleinement sa subjectivité dans l’expression artistique de son identité : la création est l’expression artistique du désir.

Les précédentes analyses du programme culturel du F.N. et des actions culturelles locales soulignent la non-reconnaissance de la liberté de création. Pour Jean-Marie LE PEN, la création ne constitue qu’une forme de sublimation du pouvoir, ce qui dans le cadre du parti se résume à une sublimation de son identité politique.

La représentation de l’identité politique du Front national répond à un idéal composé de références esthétiques faisant appel au passé, aux traditions culturelles françaises. Toutes formes de création sont rejetées si non fidèles aux règles établies par le parti et répondant aux principes d’une identité nationale. L’application de trois critères spécifiques à la création telle qu’elle est revendiquée par le F.N., « création enracinée dans notre identité et nos valeurs », « création accessible à tous et non pas réservée à une pseudo élite », « création de devenir et non pas de renouvellement »609, résume parfaitement les obsessions idéologiques du parti. La création artistique est donc restreinte à une forme de représentation d’un idéal politique sublimé où toute forme de critique est refusée.

Les politiques culturelles locales du F.N. ont témoigné, dans de nombreux domaines, de l’absence d’acteurs culturels contemporains appartenant à sa famille politique. En ce sens, il apparaît comme impossible au parti de mettre en œuvre une politique de création fidèle à son idéologie. Ce constat explique l’éternelle exaltation passéiste des racines telle qu’elle est formulée par le parti et l’exploitation systématique de la peur. De nombreux titres d’ouvrages et de rapports du F.N. expriment cette obsession liée à l’enracinement et à la peur, dont les plus importants sont la partie consacrée aux questions culturelles du programme de gouvernement du Front national de 1993, « Liberté de la culture : enraciner l’avenir » ; et le rapport de 1998, rédigé par Bruno GOLLNISCH pour le groupe F.N. du Conseil régional de Rhône-Alpes, « Culture et patrimoine, Promouvoir le Beau en défendant nos racines », dont la première partie s’intitule « Les deux postulats de l’art officiel : déracinement et laideur ».

Les programmes culturels du parti et les actions effectives mises en œuvre sur le plan local, expriment une antinomie, de la part du F.N., à évoquer la création alors qu’au contraire, il exprime souvent une limitation de l’expression de la subjectivité. Dans le programme de 1993, la première proposition du Front national, intitulée « Restaurer la liberté d’expression et de création » illustre cette antinomie : « [i]l faut libérer la pensée, l’expression écrite et la création artistique des entraves de tous les conformismes à la mode. […] Les subventions publiques seront accordées aux créations artistiques qui respectent notre identité nationale comme les valeurs de notre civilisation ». L’approche fermée de la création artistique répondant à la revendication programmatique de la préférence nationale s’exprime également au travers des actions de rééquilibrage des bibliothèques opérées par les quatre maires frontistes610. En annulant notamment les abonnements à plusieurs titres de presse, orientés à gauche et à l’extrême gauche, et en imposant dès l’achat d’ouvrages, de revues et de journaux proches de l’extrême droite, les équipes municipales frontistes ont affirmé leur volonté de défendre et de promouvoir l’identité nationale. Le rééquilibrage des bibliothèques, au nom du pluralisme, exprime également le travail sur la langue fait par le F.N. dans le champ de la médiation culturelle.

Notes
609.

MEGRET, in LE PEN (1987), p.115

610.

Cf. Troisième partie