B – La langue de la médiation culturelle

La fonction de la langue est d’établir une communication constitutive entre les acteurs de sociabilité. La médiation culturelle, comme tout autre forme de médiation, implique l’existence d’une langue commune aux acteurs de la sociabilité. Comme l’a souligné Bernard LAMIZET, « le langage des formes esthétiques et de la représentation […] se fonde sur la sublimation du réel dans la mise en œuvre de l’activité symbolique du sujet » 611 . Le « je » n’a de sens que s’il s’adresse à un autre « je ». Or dans le champ des politiques culturelles du Front national, il existe une distinction absolue entre le « Je » et le « tu ». Le « je » s’adressant au « tu » est un « je » sublimé qui implique une distinction. Le Front national, par son idéal politique fondé sur de l’imaginaire, ne peut intervenir dans le champ de la médiation dans la mesure où les acteurs ne se situent pas sur un pied d’égalité. Le parti utilise fréquemment une technique verbale distinctive entre un « nous » qui représenterait le F.N. et ses adhérents, et un groupe que l’on pourrait qualifier des « autres » qui représenterait tous les acteurs du complot dénoncé par le parti. Le terme « autres » n’apparaissant pas clairement dans les écrits et discours du parti mais sous la figure de multiples « agresseurs » de la nation : « nous entendons résister au conditionnement marxiste, à la domination des puissances d’argent, à l’impérialisme culturel cosmopolite » 612.

Toute langue est à la fois un système de représentation et d’appartenance : une langue est territoriale. Ernst CASSIRER a rappelé que : « [l]’art, comme le langage, n’est pas l’imitation ou le reflet du monde, il construit un monde, il élabore des formes symboliques. » 613 Ainsi, le langage est là pour construire le rapport à la société. La création artistique est une construction symbolique du rapport à la société. Or par sa volonté de ne vouloir travailler qu’avec des « artisans » défendant les valeurs ancrées dans l’idéologie frontiste, mais aussi par le refus de la création contemporaine, le Front national rend impossible toute forme de représentation de la société.

Les actions culturelles mises en œuvre sur le plan local par le F.N., nous amènent à penser que son langage culturel ne s’interprète pas dans une logique d’identification à un idéal de soi, mais dans celle d’une identification à un idéal politique. Elles témoignent ainsi d’une primauté accordée à la représentation d’une société conforme à son identité politique. Ainsi, par exemple, la défense de la langue française et des langues régionales s’inscrit dans un rapport à la société fondée sur la notion de distinction, dans la mesure où, comme nous l’avons relevé tout au long de cette recherche, la question de l’identité constitue le socle de l’appareil idéologique frontiste.

La reconnaissance du langage de la médiation culturelle nécessite une interprétation des formes esthétiques et culturelles mises en œuvre par le Front national. Sans interprétation, le sujet ne peut se reconnaître et ainsi affirmer son appartenance et sa sociabilité.

Notes
611.

LAMIZET (2000), p.80

612.

FRONT NATIONAL (1993), Les principes, « Le Beau, le Bien, le Vrai »

613.

CASSIRER, (1972)