Conclusion

Les quatre victoires du F.N. aux élections municipales de 1995 et 1997 lui ont permis d’acquérir une visibilité dans l’espace public, par la mise en œuvre de représentations esthétiques et culturelles de son idéal politique. L’expression de l’idéal politique du F.N. dans l’espace culturel a participé au développement de la visibilité du parti, notamment par les émotions qu’il a suscité auprès des acteurs de la médiation culturelle. En effet, qu’elles soient admirées ou détestées, les politiques culturelles mises en œuvre par les quatre maires frontistes, ont été à l’origine d’une mobilisation médiatique sans précédent dans l’histoire des politiques culturelles françaises.

La représentation artistique s’apparente à un jeu de langage, dont une des formes les plus anciennes est le théâtre. Selon le concept de catharsis développée par ARISTOTE –notamment dans deux ouvrages La poétique et La politique 615 - les hommes ont besoin de jouer leur condition, en mieux ou en pire, pour en tirer des émotions qui apaisent ce qu’ils subissent. Ainsi, le spectateur se libère de ses émotions grâce à un dispositif scénique et/ ou au mode de la représentation. En créant pour le plaisir, une autre image du monde, l’homme modifie à la fois son monde intérieur, et le monde extérieur. Mais par cette représentation, l’artiste objective un certain nombre de nouvelles images, qui, à leur tour, vont faire partie de la subjectivité de chacun. L’expérience artistique peut être définie comme une expérience subjective qui se concrétise dans un objet qui s’adresse au sens.

Le F.N. a défini, aussi bien dans ses écrits que par ses actions culturelles locales, sa conception de la fonction de création artistique en tant que témoin du pouvoir politique et dont l’objectif serait de sublimer ce même pouvoir. La place du Front national dans la sphère politique le contraint à jouer de son statut de parti d’opposition grâce à ses actions sur le plan local, par l’intervention des maires élus en 1995 et 1997, et ses discours sur le plan national.

Par ailleurs, en exerçant une distinction systématique et obsessionnelle entre le « nous » et les « autres », le Front national exprime la figure de la victime

En se lançant dans le combat culturel qu’il entend mener au nom du peuple, le F.N. témoigne de sa volonté à agir sur le sensible afin de développer et de rendre perceptible l’appartenance à un groupe fondé sur des logiques tant identitaires que minoritaires.

Dans son ouvrage consacré à l’imaginaire, Jean-Jacques WUNENBURGER a montré que certains partis politiques, qu’il nomme « groupes d’activistes politiques »616, auraient « sécrété un imaginaire particulièrement flamboyant en empruntant ses matériaux à la théologie millénariste et aux thématiques utopiennes. Car l’aspiration à une justification rationnelle d’un ordre civique idéal a du mal à se tenir à l’écart des désirs et des rêves » 617 . Le rassemblement, et donc l’engagement, implique pour les partis, d’agir sur l’imaginaire d’un idéal politique, c’est-à-dire agir sur l’émotionnel. L’importance de la symbolique frontiste dans sa stratégie fantasmatique de la peur s’appuie sur des outils de communication propres et sur des références esthétiques précises afin d’asseoir ses positions.

La politique de censure et/ou d’imposition de règles esthétiques, pratiquée par le F.N. dans le cadre de la mise en œuvre des politiques culturelles municipales présentées dans la précédente partie, a des répercutions sur le travail de création. En effet, nous avons montré que les actions menées par le F.N. répondent à une forme de propagande dont l’objectif affirmé est la diffusion d’une politique culturelle enracinée dans le passé et dans les traditions. En refusant le principe de liberté de création, contrairement à ce que le parti affirme dans son programme de 1993618, le F.N. exprime son objection contre l’une des fonctions de l’art : la fonction critique de la société et/ou du pouvoir.

Les actions mises en œuvre dans les villes de Marignane, Vitrolles, Orange et Toulon ont majoritairement concerné les institutions dont les acteurs du champ de la médiation culturelle proposaient ce que le F.N. nomme un « art de rupture ».

Aussi, dans la mesure où le F.N. refuse toute création qui serait contraire à une forme de culture populaire, et enracinée dans les valeurs nationales qu’il défend, nous souhaitons présenter et analyser les références esthétiques et culturelles du parti dans le champ de la médiation culturelle.

Notes
615.

La poétique (trad. Roselyne DUPONT-ROC et Jean LALLOT), Paris, Seuil, 1980, 466 p., (Coll. « Poétique ») ; et La Politique (trad. Jean TRICOT), Paris, Vrin, 1995, 604 p.

616.

Cette expression fait référence aux partis politiques minoritaires, tels que les partis des extrêmes, et/ou autres groupuscules identitaires et politiques.

617.

WUNENBURGER (2003), p.91

618.

La première proposition du F.N. présentée dans le programme de 1993 s’intitule « Restaurer la liberté d’expression et de création » correspond, selon nous à un argument pro-libéral témoignant de la volonté du parti à « privatiser » le secteur culturel. « Il faut libérer la pensée, l’expression écrite et la création artistique des entraves de tous les conformismes à la mode. […] Les subventions publiques seront accordées aux créations artistiques qui respectent notre identité nationale comme les valeurs de notre civilisation. La composition des commissions culturelles, responsables de l’attribution des financements publics, sera revue de telle façon que les “autorités culturelles” et les groupes de pression les plus divers ne puissent plus imposer leurs lubies au public. Il sera dressé un bilan précis de l’activité des multiples établissements et fonds d’intervention en matière culturelle (CNAP, CNAL, FNAC, FRAC, notamment). Les différents circuits de financement public seront simplifiés et les établissements ou fonds inutiles supprimés ».