Cinquième partie : Les références esthétiques et culturelles du Front national dans le champ de la médiation culturelle

Introduction

Nous avons montré que les références esthétiques et les représentations culturelles mises en œuvre à Vitrolles, Toulon, Orange et Marignane, et exprimées dans les textes frontistes traitant des questions culturelles, témoignent d’une identité politique paranoïaque fondée sur un rapport singulier au temps et à l’espace. Les théories du complot et du déclin de la nation expriment une identité fantasmée autour de deux dimensions spécifiques au F.N. : son statut de « victime » de la société et des autres partis politiques, et en parallèle son rôle de défenseur du peuple français et de la nation.

Les conceptions esthétiques du Front national sont intéressantes à étudier car elles sont indissociables de l’ensemble de ses conceptions, culturelles, sociales et politiques : le lien entre les principes sociopolitiques, les valeurs morales et la culture est clairement affirmé, dès 1984, par Jean-Marie LE PEN lui-même qui se fixe comme objectif « d’aller hardiment dans la voie de la liberté, de la responsabilité, du patriotisme et de la tradition, entendue dans son sens le plus clair et le plus noble comme la transmission du Beau et du Vrai » 619 . Les termes « patriotisme » et « tradition » définissent la culture du F.N et symbolisent un idéal politique axé autour d’une certaine conception de la notion d’identité qui constitue le socle de l’appareil idéologique du F.N.

La tradition désigne la transmission d’une culture à travers l'histoire depuis un événement fondateur. Cet héritage peut constituer le vecteur d'identité d'une communauté. « Nos enfants ont besoin d'être éduqués dans le respect des vraies valeurs, dans le respect du Bien, du Beau, du Vrai » 620. L’identité culturelle du F.N. se fonde sur trois principes, « le Beau, le Bien, le Vrai » dont découlent deux postulats : le beau est une valeur universelle et la culture implique le travail et la soumission à des règles et à des formes.

L’approche militaire de la notion de patriotisme apparaît, tant dans son rapport à un sens moral, que dans le respect de règles et d’un ordre établi. Le projet de « guerre culturelle » revendiqué par le F.N. participe de cette approche militariste notamment dans sa volonté de domination d’une culture sur les autres. Ainsi le F.N. associe au « Beau » les notions de suprématie et de permanence, qui doivent être perceptibles dans les œuvres littéraires et artistiques. Par ailleurs, comparer ce terme à un « étalon » ne renvoie pas selon nous à l’idée de reproductibilité, mais exprime le rayonnement culturel diffusé sous l’influence du « Souverain Beau ». Le terme « souverain »exprime une forme de suprématie du « Beau » dans le champ culturel et artistique. En d’autres termes, il s’agit d’une sorte de modèle que devraient suivre les artistes, les écrivains, afin de parvenir au rayonnement. « L'artiste a besoin d'un modèle et doit se conformer à des règles qui, en s'imposant à lui, le contraignent à se dépasser. » 621 Les termes « modèle » et « dépassement de soi » rappellent l’importance accordée à l’affect dans le processus de jugement esthétique et, dans le cadre du F.N., l’approche militaire de ses conceptions esthétiques.

Ainsi, les représentations esthétiques de l’idéologie frontiste sont une vitrine du parti en symbolisant la priorité accordée à la défense de l’identité nationale. Le « Beau », dans le monde du sensible et selon le Front national, constitue un idéal dont l’artiste doit se rapprocher : d’où, selon le F.N., une normalisation quasi absolue. Or cette identité politique ne peut être représentée que par des œuvres répondant à des critères esthétiques de beauté, si tant est que le terme « Beau » est un sens en art.

Trois courants gravitent dans la nébuleuse frontiste, et chacun d’entre eux honore ses propres artistes. Le courant néo-droitier s’intéresse au conteur Pierre GRIPARI622, ou à Marc AUGIER, alias Saint-Loup623. Les nationaux catholiques défendent le primat du catholicisme dans la culture frontiste. Ainsi ils développent leurs propres littératures pour enfants et adolescents, et leurs propres auteurs comme Philippe COLOMBANI624. Enfin, la tendance national conservatrice s’attache elle aussi à défendre les valeurs de la France à travers un nationalisme et un régionalisme primaires, représentés par du folklore, des hommages à de hautes figures locales qui ont défendu leur région (MISTRAL, RAIMU, MALEMANCHE).

Notes
619.

LE PEN (1984), p.13

620.

Discours de Jean-Marie LE PEN lors des 17ème Fête des Bleu-Blanc-Rouge de 1997.

621.

Site Internet du FRONT NATIONAL, Pages « Archives », « L'impérieuse nécessité d'une renaissance : Renouer le lien entre art et peuple », juin 1999

622.

Pierre GRIPARI (1925-1990) était un écrivain français, auteurs d’ouvrages explorant plusieurs genres littéraires (roman, nouvelle, science-fiction, poésie, conte, pièces de théâtre) et de critiques littéraires. Il fut célèbre auprès du grand public pour ses ouvrages pour enfants dont l’œuvre la plus célèbre, Les Contes de la rue Broca, paraît en 1967.

Il fut membre de l'association culturelle européenne du Groupement de Recherche et d'Etudes pour la Civilisation Européenne (G.R.E.C.E.).

623.

Responsable du journal de la Waffen S.S. française, Devenir.

624.

Philippe COLOMBANI était l’un des responsables du Rapport sur la culture qui servira à la rédaction du programme national du Front national de 1993. Membre du F.N. dont il dirigea la Délégation nationale à la formation de 1995 à 98, il quitta le parti lors de la scission, et rejoignit le M.N.R. de Bruno MEGRET jusqu’en 2000. En 2001, il fut élu à la mairie de Versailles (divers droite).