2 – L’art contemporain

Jean-Marie LE PEN a exprimé ses idées sur l’art contemporain à de multiples reprises, notamment lors d'un colloque organisé par le Conseil scientifique de son parti, le 16 janvier 1993, sur le thème « La création artistique contemporaine et l'identité française ». Le journal Le Monde a relevé quelques citations du leader frontiste, dans son édition du 20 janvier 1993627 :

  • « L'art contemporain est une farce sinistre »,
  • « L'art contemporain est en rupture avec la technique, la maîtrise, l'habileté qui sont les références de tout art »,
  • « L'art contemporain ne cherche plus le Beau mais l'original »,
  • « L'art contemporain est le fait d'une pseudo-élite »,
  • « L'art contemporain est une rupture avec l'art fait pour le peuple. ».

Le rejet de l’art contemporain s’explique par une impossibilité, pour de simples raisons tactiques, d’encourager un art qui n’aurait aucune assise populaire, alors que pour le F.N. l’important est d’introduire ses idées dans la masse. Pour le parti de Jean-Marie LE PEN, le seul art qui mérite d’être reconnu est celui dont l’inspiration trouve ses origines dans le peuple et s’avère donc compréhensible par lui : ce que les mouvements totalitaires ont défini comme le « réalisme total »628.

Cette théorie s’articule autour de l’idée selon laquelle l’art doit être le miroir de la nation et non un élément de rupture : ce qui correspond aux principes anti-moderniste défendus par Jean-Marie LE PEN. Dès 1982, le leader du F.N. affirmait que « le Centre Pompidou a été conçu pour choquer et heurter les amateurs d’une conception traditionnelle de l’art » 629 alors que, selon lui, la culture doit répondre à un système de valeurs dont le peuple serait porteur et sur lesquelles il fonde son identité.

Le F.N. fustige également les actions menées par le Ministère de Jack LANG et notamment par la création des F.R.A.C. « Les Fonds Régionaux d'Art Contemporain (F.R.A.C.) illustrent bien cette situation [d'une culture élitaire souvent absconse et abstraite]. Sachant qu'ils sont financés par les Conseils régionaux et les collectivités locales, on pourrait imaginer que leurs acquisitions ne sont pas les mêmes en Bretagne et en Alsace, en Aquitaine et en Provence, en Ile-de-France ou en Auvergne. Il en va tout autrement : il y a bien décentralisation des crédits, mais non des choix. Ce sont au contraire des modes centralisées qui imposent leur loi au détriment des artistes et des populations enracinées » 630 . Le F.N. dénonce une « culture officielle », imposée par l’«Etat culturel », qui serait ainsi uniformisée et ne correspondrait pas aux attentes du peuple notamment d’un point de vue d’une valorisation des identités régionales. Par ailleurs, l’accent très net mis sur la création contemporaine, tant d’un point de vue d’un soutien financier que de celui de l’ouverture de lieux culturels spécifiques, est particulièrement critiqué « en ne s’intéressant qu’aux structures et à l’environnement de la création, on laisse une fois de plus, le champ libre à la gauche et on cautionne la poursuite du déclin culturel et de la perte d’identité de notre pays» 631 . L’exemple du Centre Pompidou, déjà cité précédemment, nous paraît le plus significatif de l’approche frontiste des politiques culturelles mises en œuvre par les partis de pouvoir. Renommé « verrue de fer », ce musée d’art moderne et contemporain symbolise selon le F.N. la politique menée par les gouvernements de gauche, notamment sous le ministère de Jack LANG. L’utilisation d’une expression souvent associée dans l’imaginaire collectif à une infection ou à des microbes, exprime le déni accordé à ce lieu, aux œuvres qu’il expose, et aux acteurs culturels et politiques qui l’ont administré et le gèrent aujourd’hui. La figure de la verrue traduit également une forme de sensibilisation fondée sur la peur.

Mais les critiques ne concernent pas uniquement les lieux et les œuvres exposées dans la capitale comme en témoigne cet extrait issu de l’article de Bruno MEGRET, « Débat culturel et combat politique », dans lequel il s’érige contre un « Zèbre éclaté » exposé à Sélestat et qui témoignerait, selon lui, de la « nullité », de la « prétention » des artistes contemporains qui sont « capables de glapir pendant trois heures devant une toile vierge pour expliquer que [leur] intention était de peindre le non-être » 632 . Il s’agit-là d’une forme de dénonciation de l’art contemporain, des connivences entre les acteurs de la médiation culturelle, et ainsi de l’influence de l’Etat sur les collectivités territoriales. Dénonciation qui répond d’une approche fantasmatique et obsessionnelle du complot et de destruction de la nation, telle qu’elle est formulée par le terme « non-être ».

Hormis les arguments cités ci-dessus, nous avons cherché à connaître les raisons qui poussent l’extrême droite à rejeter l'idée de création et d'innovation artistique, ce que l'on nommait jusqu'à la fin des années 1970 « l'avant-garde », et qui aujourd'hui s'est cristallisé dans l'expression « art contemporain »633. La première difficulté à laquelle nous nous avons été confrontée vient du fait qu’aucune référence nominative ne se trouve dans les ouvrages et les discours émanant du parti. Le F.N. ne prend pas le risque « d’attaquer » personnellement un ou plusieurs artistes, mais préfère dénoncer l’art contemporain dans sa globalité.

Lors de la Journée culturelle du Front national de la jeunesse, le 1er juin 1996, le leader du Front national développe ces propos de la sorte : « [J]'ai plus confiance dans les beautés créées par ceux qui nous ont précédés que dans celles de ceux qui vont nous suivre » 634 . Et, quelques semaines plus tard, dans un numéro de National Hebdo datant du 5 septembre 1996, il précisera que « [a]ujourd’hui par l'intermédiaire de l'art, on s'attaque au goût, à la sensibilité de nos contemporains, on détruit au bout du compte notre civilisation ». L’art contemporain serait ainsi une nouvelle menace pour la civilisation française dans la mesure où il constituerait une rupture avec le passé. Or nous avons rappelé dans la précédente partie que la « notion » de passé constituait une valeur et centrale essentielle, notamment quant à son rapport aux traditions et à l’héritage. Cette opinion nous amène ainsi à nous interroger sur le sens du rejet de cette nouvelle forme de création artistique. Le F.N. rejette-t-il ainsi la modernité artistique ? Serait-ce l’utilisation de la technologie dans certaines créations qui pose problème ? Ou bien encore le fait que l’art moderne et contemporain rejette majoritairement toute forme de figuration ?

La notion d’héritage est ainsi remise en cause par le caractère éphémère de ce type de création artistique. Il est vrai que les installations et performances d’artistes ont généralement, par essence, une durée de vie moindre que celles des œuvres dites « classiques ». Or il s’agit là d’un enjeu majeur pour le Front national : comment une nation pourrait-elle rayonner à travers les siècles si sa culture est représentée et composée d’œuvres périssables ? Cette culture ne serait pas digne du peuple français, de son histoire et de son règne sur les autres civilisations.

La dimension éphémère de l’art contemporain, telle qu’elle est critiquée, reflète un rapport au temps symptomatique de l’identité politique du F.N. notamment quant à son fantasme de déclin de la nation.

Les politiques culturelles du F.N. permettent de saisir, selon nous, l’impensé d’une politique, de saisir ce qui, dans une politique ou dans une stratégie d’acteur, est porteur de logiques refoulées ou impensées. Les nombreuses métaphores, amalgames, et confusions fais par le F.N. rendent compte, selon nous, d’une distance entre logiques et dynamiques conscientes et assumées, et entre logiques et dynamiques inconscientes et refoulées par les acteurs qui en sont porteurs.

Notes
627.

GUERRIN, Le Monde, 20 janvier 1993

628.

Théorie développée par Igor GOLOMSTOCK, L’art totalitaire, Paris, Editions Carré, 1991, 343 p.

629.

LE PEN (1982), pp.164-165

630.

Site Internet du Front national, Pages « Culture », mai 1998.

631.

MEGRET, in LE PEN (1987), pp.114-115

632.

Ibid, p.112

633.

Pour une approche de l’art contemporain, nous vous invitons à lire les ouvrages d’Elisabeth COUTURIER, L’art contemporain, mode d’emploi, de Catherine MILLET, L’art contemporain, N° Hors série de la revue Beaux-Arts magazine, « 101 artistes contemporains aujourd’hui », ainsi que les travaux d’Anne CAUQUELIN sur la relation entre l’art contemporain et la communication.

634.

Site Internet du Front national, Pages « Archives »