B – Le Spectacle vivant

1 – Le théâtre

1 – 1 – La dénonciation du « théâtre de résistance »

Le F.N. n’entend pas subventionner des artistes qui investissent à la fois le champ politique et le champ culturel. « Ce que nous refusons, c’est que des artistes, qui, es qualité, s’engagent politiquement, veulent utiliser leur art dans le combat politique et, de surcroît, demandent des subventions y compris à ceux qu’ils combattent ». Bruno MEGRET développera ce point en vue en précisant « qu’il n’est pas possible de construire une politique culturelle sur l’idée qu’il y a des artistes de droite et de gauche » 635 . En d’autres termes, le F.N. refuse toute relation entre art et politique dans la mesure où l’œuvre d’art ne doit pas être l’expression d’une idéologie politique mais celle d’une identité nationale. Les logiques esthétiques du F.N. correspondent ainsi à une expression nationale : celle d’un peuple, d’une nation, uniques.

Les thèmes abordés par les pièces sont ainsi également concernés par le débat frontiste sur l’esthétique : « [o]n ne peut […] se satisfaire d’un théâtre qui, sur le plan moral et politique, ne se préoccupe que de racisme, de colonialisme (Aimé Césaire), de nazisme (Thomas Bernhard), de fascisme (Antonio Tabucchi) et plus récemment « d’homophobie » » 636 . Les dramaturges dénonçant à travers leurs pièces des doctrines totalitaires et des pratiques discriminatoires sont eux-mêmes dénoncés dans ces propos. Il s’agit-là du refus d’une logique interventionniste du théâtre dans le champ du politique afin de ne pas porter atteinte à l’« ordre moral ».

Dans un chapitre des 300 mesures pour la renaissance de la France intitulé « Rendre possible un nouveau printemps pour le théâtre français », le Front national précise son point de vue à l’encontre de quelques dramaturges connus.

« La caution de « bonne tenue intellectuelle » est invariablement assurée par les staliniens, les tenants de l’absurde et les nihilistes de service, tels BRECHT, KAFKA ou BECKETT, à qui nous ne dénions pas un certain génie littéraire mais qui masquent, à la manière d’une interminable rengaine, le relatif désert de la création officielle. »

L’utilisation, parfaitement maîtrisée, de la rhétorique par le F.N., nous amène à penser que le fait de citer ces auteurs n’a rien de fortuit. En effet, le F.N. ne remet pas en cause les qualités littéraires de ces grands auteurs mais bel et bien leurs engagements politiques. Nous pensons également que ce commentaire exprime un rejet du processus de « distanciation » créée par BRECHT, qui pousse le spectateur à avoir un regard critique de la société au travers de ses pièces et de leurs mises en scène. Or selon le F.N., les artistes doivent transcender la société afin de participer à la construction de l’« âme collective » du peuple français, comme le stipule Bruno MEGRET lors d’une interview pour la revue Mouvement : « [l’]art doit être un repère, et non un instrument de rupture. L’art doit servir à consolider l’harmonie de la société et non pas être un élément de dissonance systématique. » 637 .

Bernard LAMIZET a montré que «[l]a représentation théâtrale est toujours critique, parce qu’elle fait apparaître une forme de dédoublement distancé de la réalité sociale et politique de la société dans laquelle elle s’inscrit » 638 . Ainsi, la représentation esthétique donne du sens en proposant les choix esthétiques qui seront fais par le public ; or dans le cadre des politiques culturelles du F.N., le fait que des normes et des règles esthétiques soient imposées aux acteurs de la médiation culturelle empêchent toutes formes de choix. Les politiques culturelles du F.N. se caractérisent par la confusion entre engagement esthétique et engagement politique puisque le parti agit et décide pour le public.

La confusion entre esthétique et pouvoir, qui s’exprime au travers de ces nombreuses critiques et revendications, témoigne d’une logique fantasmatique du pouvoir. En effet, cette confusion s’explique, selon nous, par la volonté de donner une consistance à cette logique de pouvoir dont le F.N. est écarté, et qui, pour lui, ne saurait donc être un fantasme.

L’art devrait ainsi accompagner la politique menée par l’Etat afin de participer à la diffusion de l’idéologie. Le F.N. remet ainsi en cause selon nous, la relation entre citoyenneté et l’art dans la mesure où il souhaite imposer ses conceptions idéologiques dans le champ esthétique. Il s’agit une fois encore d’un antagonisme entre les critiques émises par le Front national relatives au fait que « [l]a France vit aujourd’hui sous un “art officiel” » 639, et les déclarations du parti. L’art n’aurait donc pas pour fonction de critiquer les institutions politiques, ni de se lancer dans ce que le F.N. appelle le « combat politique ». L’art doit par ailleurs conforter les citoyens dans l’accomplissement d’un idéal, conforme en l’occurrence, à l’idéologie frontiste.

Notes
635.

Entretien avec Bruno MEGRET, Mouvement, juin 1998, pp.9-11

636.

FRONT NATIONAL (1993), 10e proposition, « Rendre possible un nouveau printemps pour le théâtre français »

637.

Ibid

638.

LAMIZET (2000), p.104

639.

FRONT NATIONAL (1993), « Le royaume de la prébende »