1 – 2 – Les références théâtrales du Front national

« Comment se fait-il qu’une pièce d’André Josset, de Tanguy Malemanche ou de Jean Yole, ne soit jamais programmée ? » 640 Dans les différents discours et programmes culturel du Front national, Jean-Marie LE PEN cite fréquemment ces trois auteurs.

André JOSSET, Tanguy MALEMANCHE et Jean YOLE sont trois auteurs français de la fin du XIXe et du débat du XXe siècle.

André JOSSET641 est notamment l’auteur de trois pièces de théâtre : Le bal des adieux paru dans le numéro 134 de la revue L'Avant-Scène Théâtre ; Elizabeth, La femme sans homme, et Les Borgia, famille étrange, parues aux Editions Fasquelle, respectivement en 1936 et 1938.

Tanguy MALEMANCHE était un auteur breton qui a écrit deux ouvrages en langue régionale, Gurvan ar marc'hek estranjour 642 etAr baganiz 643 .

Jean YOLE, de son vrai nom, Léopold ROBERT, était avant tout un homme politique français (1878-1956) qui a participé au gouvernement de Vichy. Ses œuvres ont revendiqué son attachement à « l'ordre ancien de la société traditionnelle », en traitant des mutations sociales qui entraîneraient des problèmes importants sur le monde rural. Ont lui doit notamment des romans :Les Arrivants, La Dame du bourg, Les Démarqués,Limogé ; des pièces de théâtre : Le Palais du paysan , La servante sans gages , Le Capitaine de paroisse  ; et des essais Le Malaise paysan , La Terre et les vivants , La Population et l'habitation rurales , La Vendée , Les Marais de Monts en Vendée .

Ces trois auteurs constituent des références logiques dans l’idéologie frontiste et ce pour plusieurs raisons : leurs oeuvres644 s’adressent à l’électorat du F.N. majoritairement composé de personnes de plus de soixante-dix ans, pour lesquelles ces auteurs sont susceptibles d’« éveiller des souvenirs ». Ces références permettent également d’amorcer une critique de la censure dont le F.N. serait victime, par la non-représentation de ces œuvres qui expriment en grande partie les idées du F.N.

La référence à la terre et aux langues régionales vise à cibler les terrains électoraux et particulièrement les régions où la culture régionale est très importante. « Il n’est nullement choquant qu’Alsaciens, Basques, Bretons, Corses, Picards... soient attachés à leurs coutumes et spécialement à leur langue locale». 645

D’autres auteurs de théâtre sont cités dans les écrits du parti. Le programme de gouvernement de 1993 stipule que le Front national souhaite redonner leurs lettres de noblesse à des auteurs qui seraient oubliés du grand public : « Qu’attend-on également pour faire connaître au public populaire les grands auteurs étrangers ? L’italien MALAPARTE, mais aussi et surtout ceux qui ont été ou qui sont les témoins privilégiés de la barbarie la plus récente, la plus contemporaine... celle des régimes communistes, comme le tchèque Vaclav HAVEL (“L’interrogatoire”), le polonais Vitold GOMBROWITZ (“Le mariage”) ou le roumain CARAJIALE, peut-être aussi génial que Ionesco. » 646 Au-delà de la contradiction à citer, dans un même ensemble de références, Vaclav HAVEL et MALAPARTE, ces références expriment une nouvelle fois l’obsession victimaire dans laquelle se trouve le F.N. en fustigeant le parti communiste qui représenterait une « menace extérieure ». Ces auteurs sont cités afin de critiquer ardemment le communisme et « les barbaries » qu’il aurait infligées à de nombreuses « civilisations ». Il s’agit également de critiquer les politiques culturelles récentes qui ont mis en valeur des artistes ayant collaboré au communisme durant la seconde moitié du XXe siècle.

Or pour le F.N., le théâtre doit promouvoir la tradition française en faisant « respecter les textes »647. À ce titre, le seul auteur contemporain cité par le Front national est Michel VINAVER, présenté comme un « ancien dirigeant d’entreprise et dramaturge, qui dénonce, de façon un peu trop cruelle peut-être pour eux, un ordre établi dans lequel se sont bien installés les « héros » de Mai 68. » 648 Dans ce cas précis, le Front national s’attaque à la philosophie de Mai 68 et à ce qu’il nomme « le théâtre de rupture » coupable d’un « nouveau conformisme »649 et de la disparition de l’ordre dans la société. Or l’ordre est une des principales valeurs dont non seulement s’enorgueillie le parti mais aussi qu’il proclame défendre. Le « respect des textes » prôné par le parti participe de ce rapport à l’ordre en ce sens où il exprime à la fois le refus d’interprétation nouvelle mais aussi celui de la création. En d’autres termes, le théâtre est un domaine artistique qui doit obéir à de règles et respecter des grands textes qui constituent la mémoire de la France.

Notes
640.

Ibid

641.

Pour plus d’informations sur cet auteur, André JOSSET, 1897-1976, à la rencontre d'un auteur dramatique, Bibliothèque nationale, Exposition du 24 octobre-18 novembre 1979, [catalogue par Noëlle Guibert et Michèle Thomas], ISBN 2-7177-1500-2

642.

Paru en 1923 aux Edition Kemper et disponible à la bibliothèque universitaire de Rennes 2.

643.

Paru en 1931 [Brest, Editions Gwalarn, 124 p., (Coll. « Gwengolo-here »)]. Egalement disponible à la bibliothèque universitaire de Rennes 2.

644.

Nous tenons à préciser qu’aucun ouvrage de ces auteurs n’est disponible en libraire, mais qu’ils le sont chez des réseaux de bouquinistes ou dans certaines librairies proches de l’extrême droite. Bien que d’un point de vue éditorial, la disponibilité à la vente d’une œuvre n’implique bien évidemment pas la qualité de celle-ci, elle constitue néanmoins un gage de reconnaissance.

645.

FRONT NATIONAL (1993), 9e proposition, « Préserver les langues régionales authentiques dans le respect de la langue française »

646.

FRONT NATIONAL (1993), 10e proposition, « Rendre possible un nouveau printemps pour le théâtre français »

Nous tenons à corriger les erreurs orthographiques issues de ce texte puisqu’il s’agit de Witold GOMBROWICZ et CARAGIALE.

647.

LE PEN (1982), p.172

648.

FRONT NATIONAL (1993), 10e proposition, « Rendre possible un nouveau printemps pour le théâtre français »

649.

LE PEN (1982), p.172