2 – Le divertissement ou le refus de la création théâtrale

Le divertissement distrait le public par des programmes relevant d’opérettes, de vaudevilles ou, depuis l’avènement de la télévision, d’émissions visant à toucher l’audience la plus large. Mais le divertissement est aussi un moyen de détourner l’attention par des spectacles ne nécessitant aucune réflexion du point de vue de la réception. Or le théâtre revendique très clairement la volonté d’amener le public vers une réflexion, aussi personnelle qu’elle soit, autour d’un sujet donné.

Composante essentielle du spectacle vivant, la création apparaît sous de multiples formes que ce soit par le biais de création d’œuvres, mais aussi par de nouvelles propositions de mise en scène d’œuvres appartenant au répertoire classique. La création contemporaine vise souvent une rupture esthétique et/ou sociale. Or nous avons vu précédemment que Jean-Marie LE PEN a dénoncé, dès 1982, « le théâtre de rupture » coupable d’un « nouveau conformisme »650 et de la disparition de l’ordre dans la société.

Ainsi, le F.N. revendique la promotion d’un théâtre susceptible de satisfaire le public le plus large par des programmes « simplificateurs » : « [s]’il veut regagner les faveurs du public, le théâtre devra, plutôt que de se perdre dans des recherches expérimentales souvent absconses, retrouver sa vocation populaire » 651 . Le F.N. reprend ici les critiques émises durant les années 1970 sur l’échec de la démocratisation culturelle et ce que Philippe URFALINO a nommé, « l’émergence d’une tension : le public ou la création »652. Ce commentaire, issu du programme de 1993, exprime la volonté frontiste de promouvoir un théâtre plus proche du peuple, par la mise en œuvre d’une programmation populaire faisant place notamment au divertissement et au vaudeville. Le primat du divertissement sur la création, symptomatique de l’art totalitaire653, répond d’une logique partisane : privilégier des formes artistiques représentant les valeurs et l’idéologie du parti.

Yves MICHAUD, dans son ouvrage La crise de l’Art contemporain, a rappelé que les pouvoirs totalitaires attendent de l’art et des artistes des contributions à la glorification de leurs pouvoirs. Que ce soit par la « célébration glorieuse et triomphante du pouvoir lui-même à travers constructions, grands projets, monuments », par « la mise en scène de la représentation du pouvoir à travers parades, défilés, fêtes, grandes manifestations, et les reportages et témoignages sur ces occasion » et par « la contribution à la propagande et à l’éducation des masses dans l’idéologie et les valeurs qu’il impose » 654, les pouvoirs totalitaires ont toujours produits des conceptions esthétiques correspondant à une forme d’art officiel. La dimension paranoïaque de l’identité politique du F.N. permet, selon nous, de prendre en compte l’idée de glorification du pouvoir dans la mesure où le Front national revendique sa volonté de rendre la parole au peuple et rompre au déclin de la nation. Par ailleurs, l’accent mis sur la promotion d’un art populaire à la gloire des valeurs que défendent le Front national permettrait selon ce dernier d’attirer les foules et d’agir ainsi sur les consciences de chaque citoyen. Les arts populaires, le folklore, sont composés de disciplines connues du plus grand nombre et fidèles à l’histoire de la nation dont le F.N. revendique l’héritage.

Notes
650.

LE PEN (1982), p.172

651.

FRONT NATIONAL (1993), 10e proposition, « Rendre possible un nouveau printemps pour le théâtre français »

652.

Ce titre est issu de l’ouvrage L’invention de la politique culturelle, Quatrième partie, « Le temps des bilans », Chapitre 8 : « Mai 68 ou la fausse désillusion ».

653.

Sur ce sujet, Igor GOLOMSTOCK, L’art totalitaire, Paris, Editions Carré, 1991.

654.

MICHAUD (1997), pp.86-87